Une manifestation d'une ampleur exceptionnelle a rassemblé samedi des dizaines de milliers de Mauriciens. Ils sont descendus dans les rues de Port-Louis pour dénoncer la gestion par le gouvernement de la marée noire qui a ravagé la côte sud-est de leur île.
Une foule comme l'île Maurice n'en avait pas vue depuis près de 40 ans – entre 50'000 et 75'000 personnes selon les estimations des organisateurs et de la presse locale – a pris d'assaut en fin de matinée la place de la cathédrale, en plein coeur de la capitale, a constaté un journaliste de l'AFP.
Le cortège, rassemblant toutes les composantes de la société mauricienne dont beaucoup de femmes et de jeunes, et très largement vêtu de noir pour évoquer les ravages de la fuite de fioul, a ensuite défilé pour exprimer son mécontentement face à ses graves conséquences écologiques et économiques.
«Cette manifestation est l'occasion d'envoyer un message (au Premier ministre) Pravind Jugnauth pour lui dire qu'il a fauté dans la façon de gérer le naufrage du Wakashio», a déclaré Jocelyne Leung, 35 ans, une employée de bureau.
Le vraquier japonais MV Wakashio s'est échoué le 25 juillet sur un récif à Pointe d'Esny, au sud-est de l'île. Trois semaines plus tard, l'épave s'est brisée en deux, après une course contre la montre pour pomper le carburant qu'elle contenait.
Espaces protégés souillés
Entre-temps, le navire a laissé échapper au moins 1000 tonnes de fioul qui ont souillé la côte – notamment des espaces protégés abritant des forêts de mangrove et des espèces menacées – et les eaux cristallines prisées des touristes.
«C'est la première fois qu'une manifestation citoyenne rassemble une foule aussi importante», a expliqué Ajay Gunness, le chef adjoint du Mouvement militant mauricien (MMM), un parti d'opposition.
1er ministre appelé à démissionner
Si les rassemblements publics à Maurice sont généralement partisans, la marche se voulait cette fois-ci apolitique, même si des dirigeants d'opposition y ont participé.
Les manifestants ont appelé Pravind Jugnauth à la démission, avec le slogan en créole «Lév paké aller» (quitte le pouvoir). De nombreux Mauriciens estiment que le gouvernement a trop tardé à prendre la mesure de la catastrophe et à organiser le pompage du fioul.
Cet archipel de l'océan Indien, avec ses 1,3 million d'habitants, dépend de ses eaux pour sa sécurité alimentaire, basée sur la pêche, et pour l'écotourisme, dans une zone qui compte parmi les plus beaux récifs coralliens du monde.
Le Premier ministre, au pouvoir depuis 2017, a jugé n'avoir commis aucune erreur et a refusé de présenter des excuses. Plus largement, les manifestants ont aussi dénoncé la corruption, les inégalités sociales, la mainmise sur le pouvoir de certaines familles et un régime perçu comme de plus en plus autoritaire.
Dauphins morts
La marche a été organisée à l'appel d'un simple citoyen, Jean Bruneau Laurette, devenu un héros aux yeux de nombre de ses compatriotes pour avoir osé s'opposer à Pravind Jugnauth.
Cet expert en sécurité maritime, qui estime que le gouvernement a caché la vérité sur les circonstances de la marée noire, a aussi porté plainte contre les ministres de l'Économie bleue et de l'Environnement.
La colère des Mauriciens a été exacerbée par la découverte cette semaine d'au moins 34 – selon une source au sein des gardes-côtes – dauphins d'Electre échoués morts ou agonisants sur la côte sud-est de l'île, à quelques kilomètres du lieu du naufrage.
La population a inévitablement fait le lien entre les deux incidents même si, selon les premières conclusions communiquées par le gouvernement, les autopsies n'ont montré aucune trace d'hydrocarbure dans les organismes des dauphins.
D'autres analyses bactériologiques et toxicologiques seront toutefois nécessaires pour exclure définitivement tout lien direct avec la marée noire ou l'immersion au large de la proue du bateau.