Carnet noirMort de la «Colette irlandaise» Edna O'Brien, à l'âge de 93 ans
ATS
28.7.2024 - 20:08
L'écrivaine irlandaise Edna O'Brien, connue pour avoir introduit dans la littérature de son pays une parole rebelle et féministe, est morte samedi à l'âge de 93 ans. C'est ce qu'ont annoncé dimanche son agente et sa maison d'édition.
28.07.2024, 20:08
28.07.2024, 21:58
ATS
Edna O'Brien est décédée «paisiblement samedi 27 juillet après une longue maladie», selon un message de son agente Caroline Michel et son éditeur, Faber, publié sur le compte X de ce dernier.
Deux fois finaliste en France des prix Médicis et Femina étrangers pour son autobiographie «Fille de la campagne» (2013) et son roman «Les petites chaises rouges» (2016), l'Irlandaise avait reçu en 2018 le «Nabokov Award for Achievement in International Literature», l'un des plus prestigieux prix américains PEN, pour «avoir abattu les barrières sociales et sexuelles élevées contre les femmes en Irlande et bien au-delà».
Le jury du prix Femina lui avait décerné un prix spécial pour l'ensemble de son oeuvre en 2019. Son premier roman, «Les filles de la campagne», histoire de l'initiation sexuelle de deux jeunes filles, provoque en 1960 un scandale dans son pays natal. Il est proscrit des librairies de Dublin et parfois brûlé pour «manque de religion et pornographie». Les six suivants connaîtront le même sort.
«Mes premiers livres ont été massacrés et interdits en Irlande», confiait-elle au quotidien français Libération. «Je n'aurais pas pu les écrire là-bas. J'aurais eu trop peur de l'Eglise, de l'Etat, de mes voisins, de ma famille», expliquait celle qui avait quitté son île à 28 ans.
Langue crue et lyrique
Dans sa vingtaine de romans, l'Irlandaise dépeint son pays comme un personnage violent et arriéré. De sa langue crue et lyrique, elle sonde l'intimité de femmes sacrifiées par une éducation qu'elle juge répressive et moyenâgeuse. Accusée de se complaire dans cette Irlande passéiste ne correspondant plus à l'Irlande contemporaine, elle affirmait en 2000 que les changements profonds étaient lents à survenir.
«Il suffit de visiter les tribunaux du pays qui examinent les conflits de propriété, de parler à des prisonniers ou ex-prisonniers de l'IRA ou encore d'assister aux débats haineux de groupes anti-avortement». C'était cependant avant la libéralisation de l'avortement en 2018, après la légalisation du mariage homosexuel en 2015.
Colette irlandaise
Philip Roth, un de ses amis qui la comparait à Faulkner, écrivait d'elle: «Seule Colette avait ainsi réfléchi à l'ardeur de la femme indépendante dans sa vie de femme et d'écrivain». Née le 15 décembre 1930 dans une ferme posée sur la lande du comté de Clare (ouest) d'un père alcoolique et d'une mère adorée mais qui pensait qu'écrire était un péché, la jeune Edna va bientôt s'affranchir de ses attaches.
Arrivée à Dublin pour poursuivre ses études après une enfance solitaire et des années de pensionnat tenu par des religieuses, la jeune diplômée en pharmacie en 1950 découvre avec passion la littérature. Cette grande rousse aux yeux verts plantés sur des pommettes saillantes se marie en 1954 – contre la volonté de ses parents – avec Ernest Gébler, un écrivain avec qui elle s'installe à Londres en 1958.
Mais le couple se délite bientôt: son pygmalion accepte mal le succès des «Filles de la campagne». Elle demande le divorce et obtient non sans lutte la garde de ses deux fils. Ses compatriotes parlent d'elle comme d'une sorcière.La rebelle, condamnée à l'exil, devient bientôt une écrivaine fêtée à l'étranger et dont la beauté ne laisse pas indifférents les héros du «Swinging London» des années 60. Dans son autobiographie écrite à 80 ans, elle raconte sa vie tourmentée et passionnelle, les visites impromptues de Paul McCartney jouant de la guitare pour ses fils, sa nuit mémorable avec Robert Mitchum, son idylle platonique avec Marlon Brando, son écriture sous LSD.
«Toujours en train de changer un mot»
Puis, elle devient l'amie de Jackie Onassis, descend dans des hôtels new-yorkais et parisiens où elle rencontre Marguerite Duras et Samuel Beckett. Elle y évoque ses retours difficiles en Irlande, sa découverte de Belfast en pleine guerre civile.
La violence sous toutes ses formes baigne l'univers romanesque de l'Irlandaise: le terrorisme au quotidien dans «La maison du splendide isolement» (1994), le terrorisme familial de l'inceste dans «Tu ne tueras point» (1996), le crime odieux d'un meurtrier schizophrène «Dans la forêt» (2002) ou encore l'enlèvement d'une Nigériane par Boko Haram dans «Girl» (2019).Ecrire, confiait-elle au New York Times en 2016, lui était aussi vital que respirer. «On me portera en terre, je serai toujours en train de changer un mot. Car le mot absolument juste existe toujours.»