Reportage déchirant«Nous attendons simplement de mourir»
AFP
12.8.2024
Wolde Meressa partage pour refuge une petite salle de classe avec trente autres déplacés au milieu des casseroles et bidons d'eau à Mekele, la capitale de la région du Tigré, au nord de l'Ethiopie. «Nous sommes au bord de la mort, nous prions Dieu de nous ramener chez nous», dit l'homme de 78 ans.
AFP
12.08.2024, 08:06
Gregoire Galley
Comme lui, plus d'un million de personnes ont été chassées de leurs foyers durant la guerre du Tigré, qui a opposé de novembre 2020 à novembre 2022 les autorités fédérales aux rebelles tigréens. Et si les armes se sont aujourd'hui tues, tous vivent toujours dans l'incertitude. «En restant ici, nous attendons simplement de mourir», glisse Wolde, qui vit avec sa femme et plusieurs de ses enfants.
Les déplacés à l'intérieur du Tigré vivent une existence précaire dans des camps de fortune ou des écoles reconverties à travers la région, théâtre de l'une des guerres les plus meurtrières depuis le début du siècle.
Environ 600.000 personnes, selon une estimation de l'Union africaine, ont été tuées durant le conflit, et quelque 3 millions se sont retrouvées sans abri. Selon le bureau de coordination humanitaire de l'ONU (Ocha), plus d'un million n'ont toujours pas pu rentrer chez elles.
Leur situation devient de plus en plus désespérée à mesure que les organisations humanitaires réduisent leurs opérations et que l'aide essentielle est plus difficile à obtenir, soulignent les travailleurs humanitaires.
«Pas d’autre choix»
Dans un camp de déplacés géré par l'Organisation internationale pour les migrations (OIM) à Shire, une ville située à environ 300 kilomètres au nord-ouest de Mekele, Tibe Addise tisse tranquillement un grand panier blanc et rouge.
Cette femme de 42 ans dit entamer sa «quatrième année dans le camp». «Depuis mon arrivée, j'ai du mal à m'occuper de mes enfants, je souffre quotidiennement du froid et de la faim». «Beaucoup d'autres partagent mon sort, même si nous n'avons pas d'autre choix que de rester ici», poursuit-elle, un châle multicolore drapé sur sa tête et ses épaules.
À l'extérieur, des cordes à linge pendent au-dessus des chemins de terre, des gens transportent des sacs de nourriture et des enfants jouent.
La plupart des personnes interrogées par l'AFP sont originaires du Tigré occidental, une zone disputée revendiquée par le Tigré et la région voisine de l'Amhara, qui a combattu aux côtés des forces gouvernementales durant le conflit. Le Tigré occidental reste largement inaccessible aux agences humanitaires.
Les groupes de défense des droits humains ont accusé les forces amhara de mener une campagne de nettoyage ethnique, de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité dans le Tigré occidental, tant pendant le conflit que depuis la signature de l'accord de paix, auxquelles elles n'ont pas été conviées.
«Au bord du désespoir»
Les troupes érythréennes, les forces amhara et d’autres forces ne se sont pas encore complètement retirées de plusieurs régions du Tigré, au mépris de l'accord signé à Pretoria.
«On nous a dit que la paix avait été rétablie et que nous pourrions rentrer chez nous», relate Surafel Asmelash, 42 ans, lui-même déplacé et coordinateur du camp de Seba Care à Mekele, le plus grand de la région. Mais aujourd'hui, «nous ne sommes pas rentrés et les agences d’aide n’ont pas eu la possibilité de rester», et «les gens sont laissés dans l'incertitude».
Dans une autre école transformée en camp de déplacés à Adwa, à environ 90 kilomètres à l'est de Shire, Genet Mengesha indique n'avoir reçu aucune aide humanitaire depuis au moins cinq mois.
«Ils enregistrent nos noms, mais nous disent ensuite que nous ne sommes pas sur la liste. Seules quelques personnes reçoivent de l'aide», affirme cette femme de 44 ans, qui lave des casseroles accroupie sur le sol, avant de lancer: «Nous sommes au bord du désespoir».