Oleg Orlov, dissident tenace Il a préparé son sac pour la prison, mais continue à critiquer le Kremlin

ATS

15.2.2024 - 06:28

Oleg Orlov assure devoir «continuer le combat», critiquer le Kremlin pour son assaut en Ukraine et ses violations des droits humains. Il encourt cinq ans de prison lors d'un procès qui s'ouvre vendredi.

Oleg Orlov, membre du conseil d'administration de l'International Historical Educational Charitable and Human Rights Society 'Memorial' (International Memorial), fait un geste après une séance du tribunal à Moscou, Russie, mercredi 11 octobre 2023. Le tribunal a ordonné à M. Orlov, coprésident du groupe de défense des droits de l'homme Memorial, lauréat du prix Nobel de la paix, de payer une amende de près de 1 500 dollars pour avoir "discrédité" l'armée russe en critiquant la campagne menée par la Russie en Ukraine. (AP Photo/Alexander Zemlianichenko)
Oleg Orlov, membre du conseil d'administration de l'International Historical Educational Charitable and Human Rights Society 'Memorial' (International Memorial), fait un geste après une séance du tribunal à Moscou, Russie, mercredi 11 octobre 2023. Le tribunal a ordonné à M. Orlov, coprésident du groupe de défense des droits de l'homme Memorial, lauréat du prix Nobel de la paix, de payer une amende de près de 1 500 dollars pour avoir "discrédité" l'armée russe en critiquant la campagne menée par la Russie en Ukraine. (AP Photo/Alexander Zemlianichenko)
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Vétéran de la défense des droits humains et de Memorial, l'ONG lauréate du prix Nobel de la Paix 2022 et dissoute par la justice russe, cet homme de 70 ans sera jugé pour ses dénonciations répétées de l'offensive en Ukraine, déclenchée il y a deux ans par Vladimir Poutine.

La plupart des détracteurs du président russe ont été incarcérés ou ont fait le choix de l'exil. Oleg Orlov fait donc encore, pour quelques jours au moins, figure d'exception en étant à la fois libre, en Russie et ouvertement critique.

«Personne ne doute que je serai condamné (...) d'ici mars», dit-il, recevant l'AFP dans son appartement du nord de Moscou dont la porte a été rayée d'un grand «Z», emblème des partisans de l'assaut en Ukraine. Il s'attend à un verdict de culpabilité avant la présidentielle des 15-17 mars destiné à reconduire au Kremlin Vladimir Poutine, au pouvoir depuis un quart de siècle.

«Ai-je le choix?»

«Je n'ai pas envie de me retrouver en prison... Mais ai-je le choix?», dit-il en levant les sourcils. «Se repentir, s'avouer coupable devant les juges? Cela reviendrait à renier toute ma vie», tranche-t-il, l'oeil pétillant, malgré tout, derrière ses lunettes.

«Je n'ai pas le choix... Il faut continuer le combat», conclut le septuagénaire d'une voix ferme, assis dans le salon de l'appartement, décoré de ses propres pastels et qu'il partage depuis 30 ans avec Tatiana, son épouse. Ce défenseur chevronné des droits humains avait été condamné en octobre en première instance à une amende pour avoir «discrédité» l'armée dans une tribune au vitriol dans le média français Mediapart.

Après ce verdict clément pour la Russie actuelle, l'affaire a été relancée par le parquet et c'est maintenant trois ans de prison qu'il risque. Dans ce texte, le militant accusait Moscou du meurtre en «masse» de civils ukrainiens et dénonçait la «victoire» en Russie des «forces les plus sombres».

«Prédécesseurs brillants»

«Jamais je n'ai voulu partir» de Russie, note-t-il, «je sais que je suis plus efficace ici, même si on doit travailler maintenant souvent dans une semi-clandestinité», Memorial ayant été liquidé quelques semaines avant l'offensive en Ukraine.

«Avoir une voix de plus provenant de l'intérieur de la Russie est important», ajoute-t-il. Affublé de l'infamant label d'«agent de l'étranger», Oleg Orlov s'est préparé à une incarcération: son sac est prêt avec des produits de première nécessité.

Cette situation lui rappelle celle des dissidents de l'époque soviétique qui ont subi de multiples vagues de répressions: «Qui aurait dit qu'on se retrouverait à vivre dans les mêmes conditions». Il s'agit donc de résister au moins autant que ses «prédécesseurs brillants», dit-il dans un rire contagieux.

«J'essaye de rester calme»

Quant au mutisme de l'écrasante majorité des Russes, M. Orlov ne jette pas la pierre à ses compatriotes. La société russe «se comporte comme toute société dans un régime totalitaire». Il estime que la même chose était vraie de ceux ayant vécu sous le régime du général Franco en Espagne ou de Vichy en France.

Dans l'attente d'une condamnation, Oleg Orlov vit aussi une vie ordinaire faite de visites médicales, de passages à la salle de sport ou de sorties en couple ou entre amis, pour faire, par exemple, du ski de fond dans la campagne.

«Je lis, je regarde des films et même la télévision russe. Ma femme estime que je dois savoir et comprendre ce qu'il s'y passe», explique-t-il avec un sourire au sujet des chaînes qui diffusent en boucle la ligne belliciste du Kremlin en prenant leurs aises avec les faits.

«J'essaye de rester calme», résume ce biologiste de formation, qui avait rejoint Mémorial, dès sa création, à la fin des années 1980. Il est devenu un pilier de l'organisation, qui faisait référence s'agissant des atteintes aux droits en URSS et dans la Russie post-soviétique. Lors de son précédent procès, il avait même osé un peu d'optimisme: «Je suis sûr que la liberté finira par être la règle en Russie».