Strasbourg «On l'a trop secoué» - Prison ferme pour des policiers

ATS

21.6.2024 - 08:08

«Un condensé de tout ce qu'il ne faut pas faire»: des peines de prison ferme et d'interdiction d'exercer ont été prononcées jeudi par le tribunal de Strasbourg dans un dossier portant sur l'interpellation «sans fondement» de deux hommes par cinq policiers.

Le chef des cinq CRS a été condamné à 30 mois de prison dont 12 mois ferme, à effectuer avec un bracelet électronique, et à cinq ans d'interdiction d'exercer la fonction de policier (photo symbolique).
Le chef des cinq CRS a été condamné à 30 mois de prison dont 12 mois ferme, à effectuer avec un bracelet électronique, et à cinq ans d'interdiction d'exercer la fonction de policier (photo symbolique).
ATS

Keystone-SDA

Les cinq membres de la Compagnie républicaine de sécurité (CRS) 36, installée en Moselle, étaient poursuivis pour «violences aggravées» et «atteinte arbitraire à la liberté individuelle» après la plainte d'un individu interpellé le 11 avril 2023, dans le quartier Cronenbourg à Strasbourg.

Le chef de groupe a été condamné à 30 mois de prison dont 12 mois ferme, à effectuer avec un bracelet électronique, et à cinq ans d'interdiction d'exercer la fonction de policier. Il a été relaxé des faits de vol d'argent liquide, les 410 euros que la victime assurait s'être fait dérober. Un deuxième agent a également été condamné à 18 mois de prison dont 9 mois ferme, sous bracelet électronique, et deux ans d'interdiction d'exercer.

Sur les trois derniers agents, deux ont été condamnés à des peines de 12 et six mois de prison avec sursis sans interdiction d'exercer, le dernier a été relaxé «au bénéfice du doute». Ces peines sont inférieures aux réquisitions du procureur, qui avait demandé des peines de prison plus lourdes et des interdictions d'exercer pour l'ensemble des mis en cause.

Sentiment d'impunité

Il a qualifié l'affaire de «cas d'école, un condensé de tout ce qu'il ne faut pas faire». «Ces policiers étaient censés maintenir l'ordre, ils ont créé le désordre. Ils étaient censés faire respecter la loi, ils l'ont violée», a-t-il affirmé à l'entame de son réquisitoire.

L'avocat des deux policiers les plus lourdement sanctionnés, Philippe Lopez, a dénoncé une décision «injuste», indiquant qu'il étudiait la possibilité de faire appel. Il avait plaidé la relaxe, comme ses confrères.

Lors de l'intervention litigieuse, ces cinq CRS avaient fait monter par la force et avec brutalité deux jeunes hommes «de type nord-africain» dans leur véhicule, sans que le motif d'interpellation n'apparaisse clairement. Après un premier transport, ils avaient procédé à un contrôle d'identité dans une impasse, où ils avaient relâché l'un des deux, conduisant l'autre au commissariat.

«Magne-toi, cherche pas la merde, fous le camp», avait intimé le chef de groupe au premier individu, en le poussant sur le torse. «On le ramène, on l'a trop secoué», «Il est trop con, donc on le ramène», avait-il déclaré au sujet du second, selon les vidéos, projetées à l'audience, enregistrées par les caméras des agents.

L'homme avait été relâché à l'issue de 48 heures de garde à vue. Il se plaignait d'avoir été frappé et accusait les forces de l'ordre de lui avoir dérobé son argent liquide, soit 410 euros. Un médecin lui avait délivré une ITT d'un jour.

Les débats ont longuement porté sur les motifs de l'interpellation. Celle-ci était justifiée selon les forces de l'ordre par les insultes et les crachats proférés à leur égard, mais ni visibles ni audibles sur les vidéos. Les insultes n'étaient pas non plus mentionnées sur le procès-verbal d'intervention, a relevé le procureur, Alexandre Chevrier, pas plus que l'interpellation de l'un des deux hommes par exemple.

Maintien de l'ordre

«Le PV est truffé d'omissions, de choses fausses», a déploré le procureur, estimant que sur «ce qu'ont dit les policiers, il n'y a pas une image qui vient à leur crédit». Il a dénoncé le comportement «de policiers qui sont dans la toute-puissance, dans l'impunité, qui s'affranchissent de la loi, de la procédure, qui piétinent les libertés individuelles. C'est inadmissible en démocratie».

Il a évoqué une «confiance rompue» envers les fonctionnaires de police. «C'est sur la foi de leur PV qu'on rend la justice, que les tribunaux condamnent. Si on ne peut plus avoir confiance, qu'est-ce qu'on fait?», a-t-il interrogé.

La défense des CRS a au contraire remis en cause la force probante des vidéos. «C'est l'avènement de la justice Tik-tok», s'est agacé Eymeric Molin, évoquant des «images pas vraiment lisibles, des propos pas vraiment audibles». «Le coeur de métier des CRS, c'est le maintien de l'ordre», pas les opérations de sûreté urbaine, avait répliqué le chef de groupe, contestant fermement les accusations.