Accueil des migrants «On m'avait prédit l'apocalypse, j'ai eu beaucoup de réactions hostiles»

AFP

3.5.2024

Une intégration réussie au prix d'un investissement humain important: des villages pionniers dans l'accueil des migrants se félicitent d'avoir tordu le cou aux préjugés véhiculés par les discours «hors-sol» selon eux qui agitent la campagne des élections européennes.

Des villages pionniers dans l'accueil des migrants se félicitent d'avoir tordu le cou aux préjugés (image d’illustration).
Des villages pionniers dans l'accueil des migrants se félicitent d'avoir tordu le cou aux préjugés (image d’illustration).
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«D'un déchainement de violence à un élan de solidarité qu'il n'imaginait pas», le maire de Pessat-Villeneuve (Puy-de-Dôme), Gérard Dubois, a tout connu à l'arrivée, en novembre 2015, des 50 premiers migrants dans sa commune de 500 habitants.

«+Ma maison va perdre de sa valeur+, +ils vont violer nos enfants+, +on ne sera plus en sécurité+: c'était l'horreur absolue ce que j'ai entendu lors de cette première réunion publique», se souvient l'élu sans étiquette, placé sous protection policière à l'époque.

«Jusqu'à ce qu'une voix s’élève dans la salle et demande +Comment vont-ils?+. L'ambiance a alors changé radicalement et une armée d'habitants s'est mise à proposer bénévolement son aide», poursuit M. Dubois auprès de l'AFP.

L'ancienne colonie de vacances de Pessat-Villeneuve accueille pendant les cinq mois d'hiver de jeunes hommes sans-papiers en provenance de la «jungle» de Calais. Elle obtiendra en 2019 un agrément de 15 ans pour se transformer en centre d’hébergement provisoire pour réfugiés, et voit l'arrivée des premières familles.

«Hors-sol»

En neuf ans, le village a accueilli 750 personnes, une classe supplémentaire a été ouverte et 84% des réfugiés accompagnés ont décroché un emploi sur le territoire.

«La plupart des appréhensions disparaissent dès que les rencontres humaines ont lieu», observe Léa Enon-Baron, co-directrice de l'Association nationale des villes et territoires accueillants (Anvita) qui regroupe 87 membres (villes, intercommunalités, départements, régions) dont 25 situés en zone rurale. «Les discours nationaux paraissent hors-sol par rapport aux expériences vécues sur le terrain», insiste la représentante de l'association.

L'extrême droite s'est opposée avec virulence aux projets de centres d'accueil de réfugiés. Sous les pressions, Callac (Côtes-d'Armor) a abandonné le projet tandis qu'à Saint-Brévin-les-Pins (Loire-Atlantique), le maire a fini par démissionner après l'incendie de sa maison.

Le «danger» de l'immigration agite les débats des élections européennes de juin pour lesquelles le Rassemblement national est donné favori, pourtant les critiques des membres de l'Anvita portent d'avantage sur «les lourdeurs administratives et complexes» de la procédure d'accompagnement.

Pour Le Vigan, bourg des Cévennes dont la tradition d'accueil de migrants remonte au XVIe siècle, héberger des demandeurs d'asile «était naturel», explique la maire Sylvie Arnal (DVG).

Dans cette commune du Gard de 4.000 habitants, la liste d'extrême droite est arrivée en tête lors des élections européennes de 2019. «Pour les artisans et chefs d'entreprise, cette main d’œuvre est bienvenue. Ils sont très bien intégrés», rapporte l'édile. Plus de 70% des migrants qui ont suivi une formation décrochent leur CAP.

«Les lumières de la ville»

La volonté des migrants de rejoindre une grande ville, une fois les papiers obtenus reste cependant très forte, s'accordent à dire les représentants des villages interrogés. «On a beau leur dire qu'il y aura moins de solidarité et qu'ils seront moins biens suivis, les lumières de la ville les font rêver», regrette Sylvie Arnal.

A Bégard, dans les Côtes-d'Armor, l'association qui s'occupe depuis 2015 de l'accueil des migrants souligne la grande disponibilité nécessaire pour accompagner les nouveaux venus dans leurs démarches.

«On est loin de tout et ils ne sont pas véhiculés, cela demande beaucoup d'énergie» pour les transporter, des cours de français aux rendez-vous en préfecture, explique Hubert Mériaux, co-président de l'association Bear Solidarité.

Pour la commune de 4.800 habitants qui n'échappe pas à la pression foncière, trouver un logement est aussi une gageure. «Nous avons rénové deux logements d'urgence, mais nous ne pouvons pas les mobiliser sur une longue période», commente l'adjointe aux Affaires sociales, Maryse Casanave.

La bourgade dans laquelle vivent quelque dizaines de migrants a ainsi confié leur prise en charge aux services sociaux et associations. Elle assure n'avoir jamais eu de problème de violence ou de délinquance avec cette nouvelle population: «beaucoup d'habitants ignorent même que des migrants sont sur la commune», note l'adjointe.

«De passage»

L'accueil individualisé a laissé place à une forme plus «impersonnelle provoquée par un +turn-over+ important» des migrants dans la commune, déplore de son côté le maire de Ferrette (800 habitants, dans le Haut-Rhin), François Cohendet. En 2015, les premières familles afghanes et syriennes étaient logées entre un ou deux ans.

Avec le durcissement des lois et leur interdiction de travailler, les migrants d'aujourd'hui, des femmes africaines avec enfants principalement, «savent qu'elles ne sont que de passage et qu'elles ont peu de chances d'avoir des papiers, ce qui ne les incite pas à s'intégrer», regrette le maire. Les enfants du village sont mélangés avec ceux venus d'ailleurs «ce qui leur apporte une grande ouverture d'esprit», se réjouit-il toutefois.

«On m'avait prédit l'apocalypse, j'ai eu beaucoup de réactions hostiles de personnes extérieures à la commune au début et pourtant rien de tout ça ne s'est produit», retient M. Cohendet. Sa commune est l'une des rares du département à ne pas avoir placé le RN en tête aux dernières élections.