Devant son collègue perché sur une grue, Vitaliï est anxieux. Les nuages s'accumulent et l'atmosphère est électrique, mais ce n'est pas l'orage qu'il craint: «Par un temps pareil, on ne voit pas venir les bombes», lâche-t-il.
Devant son collègue perché sur une grue, Vitaliï est anxieux. Les nuages s'accumulent et l'atmosphère est électrique, mais ce n'est pas l'orage qu'il craint: «Par un temps pareil, on ne voit pas venir les bombes», lâche-t-il.
Vitaliï Asinenko, 46 ans, travaille pour DTEK, le principal fournisseur d'énergie de l'Ukraine, et a la charge du réseau électrique autour de Pokrovsk, dans l'Est du pays.
A une dizaine de kilomètres de la ville, son équipe et lui ont pour mission de réparer les dégâts infligés par l'aviation russe sur le réseau énergétique, non loin d'un front qui se rapproche inexorablement.
Depuis des mois, Moscou ne cesse de frapper les infrastructures ukrainiennes, provoquant de fréquentes coupures de courant.
«Nous devons nous assurer que le point de refuge civil et les lieux de distribution humanitaire aient du courant», explique Vitaliï, casque vissé sur la tête. Autour de lui, les ruines et les détonations de l'artillerie montrent que le tumulte de la guerre se resserre autour de cette grande ville du Donbass.
«Il y a trois mois, c'était plus calme», confie-t-il. «Aujourd'hui, on a des risques de drones explosifs, c'est devenu vraiment dangereux».
Selon lui, son équipe est maintenant une «cible», à l'instar des militaires. La petite grue bleue soviétique paraît fragile quand un canon mobile Caesar la dépasse sur la route.
Sur cette zone, certains de ses collègues ont déjà été blessés. Alors, du haut de la nacelle, les équipes se dépêchent de couper, raccorder, brancher les amas de cuivre déchirés par les éclats d'obus.
Une série d'explosions résonne. «C'étaient des roquettes», affirme Vitaliï en contre-bas, détendu. Une lueur d'angoisse passe dans les yeux d'un électricien qui se remet immédiatement au travail.
De l'aveu de son équipe, tout le monde a peur, mais pouvoir reconnaître la musique de la guerre permet d'être en alerte.
«Nous écoutons le bourdonnement des drones, le fonctionnement de l'artillerie, ça permet de savoir à quel point la situation est dangereuse», explique Vitaliï qui s'est forgé une oreille par la force de l'habitude.
Car chaque jour les bombes s'abattent sur les réseaux près du front de l'Est. Et chaque jour, les électriciens viennent réparer les dégâts dans un inlassable travail de Sisyphe.
Des «héros»
Sur le front, civils et militaires ne peuvent se passer du précieux flux d'électrons qui assure aussi l'arrivée de l'eau courante. Volodymyr Roudenko, chef de l'administration militaire du village, explique que les frappes de bombes planantes se sont multipliées ces trois derniers mois.
«Le front est beaucoup plus proche», regrette le soixantenaire, selon qui la Russie avance vers Pokrovsk d'une «centaine de mètres chaque jour».
Il pousse donc les habitants à partir. Relativement épargnée avant mai, la localité est passée de 3.000 habitants avant la guerre à 1.500 environ.
Pendant que les hommes de DTEK s'affairent, de rares badauds s'attardent dans les rues jonchées de débris. Seuls subsistent quelques mineurs de fond et des personnes âgées n'ayant nulle part où aller.
C'est le cas de Vira, 77 ans, qui fait le tour du village, accompagnée d'une amie pour s'enquérir des dégâts nocturnes.
Si elle a un jardin où poussent encore deux ou trois choux, elle explique vivre dans sa cave, par peur des bombes. Dans sa rue, l'électricité n'a pas été rétablie.
«J'ai qu'une toute petite pension, que voulez-vous que je fasse avec ça ? Où voulez-vous que j'aille ?», se plaint-elle à l'AFP en resserrant son foulard sur sa tête.
En retrait, Vitaliï, le chef des électriciens, explique: «C'est pour eux que nous sommes là. S'il n'y avait pas de civils, on ne viendrait pas».
«Oui, on est courageux... ou alors on est stupide», sourit humblement Vitaliï.
Les «héros», comme les appellent les habitants, tentent de ne pas rester trop longtemps sur place même s'ils sont rompus aux explosions.
Soudain, un obus fend l'air dans un sinistre sifflement. La force du souffle fait s'accroupir l'ouvrier dans sa nacelle. «On se casse ! Allez !», hurle Vitaliï en moulinant l'air de son doigt.
Les électriciens s'engouffrent dans leur véhicule blindé, la vieille grue enclenche la marche arrière: fin de journée.
Ils reviendront demain, pensent-ils. En vain. Le village a été rasé par les bombes.