Faits divers «Poste mortem»: au cimetière de Charleville-Mézières, Rimbaud reçoit toujours du courrier

AFP

29.7.2019 - 10:36

«Rimbaud, je le tutoie! Je l'appelle Arthur!» Gardien du cimetière de l'Ouest à Charleville-Mézières (Ardennes) depuis 37 ans, Bernard Colin veille fidèlement sur la tombe du poète et relève consciencieusement son «courrier».

Car, même disparu depuis 127 ans, Arthur Rimbaud continue d'en recevoir dans la boîte aux lettres jaune très «vintage» installée à son nom à l'entrée du plus vieux cimetière de la ville. «Au moins deux ou trois lettres par semaine», s'étonne toujours le gardien du temple.

Dans son logement de fonction aux allures de petit manoir néo-gothique qui surveille l'entrée du cimetière, il garde religieusement dans de petites boîtes à chaussures ces témoignages d'affection et d'admiration envoyés du monde entier. «La récolte de six mois», lance-t-il en ouvrant trois boîtes rangées dans un tiroir de la buanderie.

«A mon Rimbange. A toi toute la vie», proclame une passionnée. «Rimbaud, même si tu n'es plus là, sache que je t'aimerai toute ma vie», s'enflamme une seconde tandis qu'une troisième missive promet au poète «le ciel et l'aube».

Certains versifient, comme cet auteur anonyme: «Condoléances regrettées, amour ravagé, que ton âme repose en paix dans ce monde rejeté».

D'autres rongent leur frein comme tel autre anonyme ,qui espère bientôt rencontrer Rimbaud, ou une certaine Allison: «Je suis fan de toi mais je n'ai jamais eu de réponse à mes lettres. Je commence à m'impatienter».

«Puisse ce courrier arriver vers toi», conclut fiévreusement une dernière lettre piochée dans l'une des boîtes.

Ce voeu est toujours exaucé. Adressées à «Arthur Rimbaud, cimetière de Charleville-Mézières», toutes les lettres dûment timbrées sont sûres d'arriver à son destinataire puis religieusement conservées par Bernard Colin.

«J'ai parfois trouvé des lettres qui font peur. Les gens confient à Rimbaud leur mal de vivre. C'est leur confident. Ils lui parlent comme s'il était vivant», confie-t-il.

- Médailles et flacon d'alcool -

Bernard Colin sort une nouvelle relique de ses précieuses boîtes aux trésors: un médiator de la chanteuse américaine Patti Smith, grande fan du poète aux semelles de vent et propriétaire depuis 2017 d'une maison au hameau de Roche, près de Charleville-Mézières, où aurait été écrit «Une saison en enfer» !

«Elle vient toujours se recueillir sur la tombe de Rimbaud quand elle passe au festival du Cabaret Vert», relève Bernard Colin.

«Mais bien d'autres sont venus aussi comme Hubert-Félix Thiefaine, Hugues Aufray et même Dominique de Villepin, l'ancien Premier ministre», grand amoureux de Rimbaud, se souvient celui qui n'hésite jamais à se faire guide pour les nombreux touristes estivaux.

«Beaucoup d'Asiatiques, des Chinois, des Japonais, mais aussi des Européens, des Français. Certains passent des heures sur la tombe pour écrire. D'autres viennent se recueillir, boire un coup, fumer une cigarette», raconte Bernard Colin.

Ses boîtes à chaussures gardent précieusement le témoignage de ces passages: lettres, poèmes, recueils de Rimbaud dans toutes les langues, plaques pyrogravées, CD, médailles, bijoux, paquets de cigarettes, flacon d'alcool, petit coeur en mousse rouge...

D'autres hommages se font plus discrets. «Ici, c'est la boîte aux lettres privée de Rimbaud», précise Bernard Colin en désignant une petite fêlure dans la plaque tombale du caveau familial. «Si on ouvrait, je crois qu'on trouverait beaucoup, beaucoup de lettres», imagine-t-il.

«Et là, c'est le coin des petits Arthur», dit-il en souriant. Derrière les deux stèles blanches consacrées à Arthur Rimbaud et à sa soeur Isabelle, morte à 17 ans, des couples ont en effet déjà été surpris à faire l'amour. Rimbaud alimente tous les fantasmes.

«Rimbaud, c'est le Jim Morrisson de Charleville-Mézières !«, résume Lucille Pennel, directrice du musée Rimbaud.

Si, vers les années 1950-1960, la ville avait boudé Rimbaud qui l'avait tant conspuée, Charleville-Mézières s'est aujourd'hui toute entière vouée à son poète, véritable tête de gondole de l'attractivité touristique.

Ce que ne dément pas Bernard Collin. «Quand je suis arrivé, il y a 37 ans, l'ancien gardien m'a dit que Rimbaud n'attirait personne. Cela a bien changé !»

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