Jura français Pour attirer un médecin, une commune a sorti le chéquier

ATS

21.11.2022 - 07:41

C'est l'aboutissement d'un travail de plusieurs années: à Arinthod, petite commune du Jura français, un jeune médecin généraliste s'apprête à s'installer. Pour le faire venir, la mairie n'a pas lésiné sur les moyens, quand d'autres collectivités ont joué la surenchère.

En Bourgogne Franche-Comté, 76% du territoire est sous-doté en médecins (image symbolique).
En Bourgogne Franche-Comté, 76% du territoire est sous-doté en médecins (image symbolique).
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Keystone-SDA

Les cartons s'entassent dans le cabinet de Pierre Gaillard. A 27 ans, après 9 ans d'études, ce jeune diplômé s'apprête à vivre lundi ses premières consultations comme médecin titulaire.

«Ca va être dense: en une journée, on a eu 500 appels en absence, la secrétaire n'a pas pu répondre à tout le monde, la ligne était saturée. Je ne m'attendais pas à autant de demandes, c'est un peu flippant», confie-t-il à l'AFP.

Son arrivée est un soulagement pour tout le canton. En Bourgogne Franche-Comté, 76% du territoire est sous-doté en médecins. Et l'actuel généraliste du village prend sa retraite dans quelques mois.

«On a eu une chance extraordinaire», concède le maire, Jean-Charles Grosdidier. Trois ans qu'il remue ciel et terre pour qu'un praticien accepte de venir s'installer dans ce bourg dynamique, proche des lacs jurassiens mais loin de la première agglomération.

Il a payé des cabinets de recrutement, assisté à des dizaines de réunions avec l'Agence régionale de santé, en vain. Jusqu'à ce qu'un enfant du cru réponde à l'appel. Car Pierre Gaillard est né dans le département, il a grandi dans un hameau voisin et se reconnaît dans la «mentalité jurassienne».

«Passionné par la nature», «attaché» à sa région, il se faisait «un devoir» de venir exercer dans ce «désert médical», quand ses camarades de promo préfèrent rester «en ville», près «des bars, des restaurants, de l'animation».

Prime d'installation

Soucieux d'exercer dans de bonnes conditions, il a quand même posé ses conditions à la commune: prime d'installation de 50'000 euros, pour s'équiper en matériel médical; prise en charge intégrale du salaire de son assistante; création d'une maison médicale, dans l'optique de faire venir d'autres professionnels de santé pour exercer à plusieurs et créer une dynamique. Le tout contre la promesse de rester 20 ans au village.

Autant d'exigences qui ont un coût pour la mairie: plus d'un million d'euros, soit environ la moitié du budget annuel d'investissement. «Ca va nous impacter sur d'autres projets, on va différer certains investissements», concède le maire. «Mais c'est un choix politique. La santé, c'est une priorité».

Ces aides s'ajoutent aux dispositifs nationaux prévus pour attirer les médecins en zone tendue: le «Contrat d'engagement de service public», 1200 euros par mois dès la deuxième année d'étude de médecine; le «Contrat d'aide à l'installation», une (autre) prime de 50'000 euros pour les jeunes médecins; le «Contrat de début d'exercice», qui garantit un revenu mensuel (brut) allant jusqu'à 8500 euros pour neuf demi-journées de travail hebdomadaires.

Autant de dispositifs vus d'un mauvais oeil par Jean-François Louvrier, président du Conseil départemental de l'ordre des médecins, qui dénonce une «gabegie». «Est-ce que c'est normal d'aider une profession qui est de toute façon au plein emploi?», s'interroge-t-il.

Comme si cela ne suffisait pas, face au manque de médecins candidats à l'installation en zone rurale, les collectivités se font concurrence et jouent la surenchère pour attirer les volontaires.

«Une commune dans le Jura me proposait 150'000 euros par exemple. Ils sont prêts à débourser des sommes mirobolantes», note ainsi Pierre Gaillard, qui a décliné pour rester fidèle à son village.

«Changement considérable»

«Il y a 15 ans, ça n'existait pas: quand un médecin venait s'installer, c'était un non évènement. Il rachetait un cabinet, la commune ne déboursait rien. Maintenant, vu la pénurie, les communes prennent en charge les primes et les investissements, c'est un changement considérable», souligne l'adjointe au maire d'Arinthod, Françoise Gras.

Conscientes de la bataille «délétère» que se livrent les collectivités, les députées jurassiennes appellent à une réforme. «Si on ne passe pas par une contrainte» à l'installation des médecins, «on n'en sortira pas», juge Marie-Christine Dalloz (LR) élue dans la 2e circonscription.

«Il faudra peut-être imposer, à la sortie des études, une ou deux années d'exercice dans les territoires en tension», estime Danielle Brulebois (LREM), en référence à une proposition en débat au Parlement.

En attendant, dans le Jura, la situation pourrait encore se détériorer puisque près d'un tiers des généralistes en exercice ont plus de 60 ans.

«A Saint-Lupicin (à 45 kilomètres d'Arinthod, ndlr), dans un mois, je n'ai plus de médecin», expose Ghyslaine Wanwanscappel, référente de l'ARS pour le Jura. «Je n'ai aucune piste, le maire non plus. Il faut qu'on soit plus inventifs».