Face aux nazisQuand la France et le Royaume-Uni ont failli devenir une seule Nation
AFP
5.4.2024
Au moment où France et Royaume-Uni célèbrent les 120 ans de l'Entente cordiale, les Archives nationales britanniques exhument un document de 1940 envisageant la «fusion totale» des deux pays.
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05.04.2024, 08:09
Gregoire Galley
Les faits sont connus des historiens mais sans doute beaucoup moins des citoyens britanniques et français.
En juin 1940, à un moment où l'armée française est débordée par l'invasion allemande, les partisans de la France Libre cherchent la parade pour éviter que la France ne tombe sous le joug nazi et en particulier son importante marine de guerre.
Jean Monnet, alors haut-fonctionnaire chargé de coordonner, de Londres, les productions française et anglaise d'armements, imagine cette proposition de «fusion totale» entre la France et le Royaume-Uni. Il réussit à convaincre Winston Churchill et le reste du gouvernement britannique, d'abord sceptiques, du bien-fondé d'un tel projet.
Churchill et de Gaulle
«Les deux gouvernements déclarent que la France et la Grande-Bretagne ne seront plus à l'avenir deux Nations mais une seule union franco-britannique», est-il ainsi écrit dans la déclaration co-rédigée à la mi-juin, notamment par le Général de Gaulle et le Premier ministre britannique.
Le document a été montré à la presse par les Archives nationales britanniques à l'occasion du 120e anniversaire de l'Entente cordiale, une série d'accords bilatéraux signés le 8 avril 1904 par lesquels la France et le Royaume-Uni règlent un certain nombre de différends coloniaux.
Avec «La déclaration d'Union» de 1940, l'objectif est de mettre en commun les ressources des deux pays pendant leur combat contre l'Allemagne nazie, en formant un gouvernement de guerre unique et en unifiant les deux Parlements.
«Tout citoyen français jouira immédiatement de la nationalité britannique, tout sujet britannique deviendra un citoyen français», peut-on encore lire dans ce texte.
«Nous avons tous convenu que ce texte est le dispositif le plus approprié et le plus efficace que nous puissions trouver», écrit notamment Winston Churchill, dans un autre document conservé par les Archives nationales.
«Plus forts» ensemble
«Il était clair que la France ne pourrait pas tenir et ils (les initiateurs de cette proposition) pensaient que les deux pays seraient en meilleure posture et plus forts en s'unissant», explique Juliette Desplat, une historienne spécialiste de la diplomatie aux Archives nationales.
«Ils pensaient que s'il n'y avait plus qu'un seul gouvernement, alors il n'y aurait pas de possibilité de reddition» côté français, et que «s'il n'y avait eu qu'une seule grande armée, cela aurait pu faire la différence» face aux Allemands, ajoute-t-elle.
Ne reste plus qu'à faire adopter cette déclaration côté français par le président du conseil Paul Reynaud, dont le gouvernement est divisé sur l'attitude à avoir face à l'Allemagne.
Celui-ci donne finalement son accord mais, le 16 juin, il doit démissionner et laisse la place au Maréchal Pétain, partisan quant à lui d'un armistice unilatéral avec l'Allemagne.
«Tout était négocié»
«Tout était négocié» mais, «avant que le Premier ministre (Winston Churchill) n'arrive en France pour le signer, l'armistice avait été acté», explique l'historienne. Et l'union franco-britannique ne verra jamais le jour.
Si le projet, qui semblait avoir vocation à ne durer que le temps de la guerre, paraît incroyable aujourd'hui, il avait été dicté à l'époque par la «nécessité», témoignera en 1970 Jean Monnet, dans un entretien télévisé.
L'idée «est inouïe quand on a le temps de réfléchir mais elle n'est pas inouïe quand les nazis sont à votre porte», y affirmait-il.
«Cela n'a pas pu aboutir (...) mais imaginons que ce qui serait arrivé si la France et le Royaume-Uni étaient devenus un seul pays !», conclut Juliette Desplat.
Malgré cet échec, France et Royaume-Uni restent des nations alliées et proches, des «soeurs» comme l'a écrit Victor Hugo dans Cromwell, rappelle l'historienne.
En atteste, outre le traité de ratification par le Parlement français de l'Entente cordiale, d'autres documents ressortis par les Archives nationales à l'occasion de cet anniversaire, comme par exemple le traité de co-développement de l'avion supersonique Concorde (1962), ou celui lançant le projet de Tunnel sous la Manche (1986).