«A contre-courant»Romedi Arquint, ou l'amour des langues
ATS
17.8.2019 - 09:04
A la fois pasteur, enseignant et politicien grison, Romedi Arquint vit en Haute-Engadine. Il rêve d’une Suisse interconnectée, sans frontières linguistiques. Rêve contrecarré, dit-il, par l'esprit de clocher des cantons.
Romedi Arquint aime faire une promenade après le repas de midi. Elle passe par Cinuos-chel, lieu de son domicile et fraction de la commune de S-chanf. La vue sur les sommets sous le ciel immaculé ne l’enthousiasme pas vraiment. «Les montagnes ont été inventées par les Anglais», lance-t-il en riant. «Elles me barrent l’horizon.» Il préférerait sûrement une vue dégagée sur la Méditerranée.
Romedi Arquint a grandi pas loin de là, dans la commune de Zernez. A l’époque déjà, la montagne lui paraissait marquer l’étroitesse du monde. «Je me sentais prisonnier des idées ambiantes sur ma manière d’être.» Pour échapper à cette étroitesse, il a beaucoup lu déjà en classe de deuxième primaire. «Lire, c'était comme une drogue», dit-il. «En lisant, je pouvais imaginer mon monde à moi, je pouvais le créer moi-même.» Les animaux dans les livres étaient ainsi plus importants pour lui que les animaux dans la nature.
Les cantons «nationalistes»
Par ses lectures, Romedi Arquint est devenu un amoureux de la langue, de la pluralité des langues, des langues tout court. Elles sont pour lui au cœur de la vie humaine. Il les voit comme un ciment social, et non comme des barrières. C'est là-dessus qu'il a écrit son «Plädoyer für eine gelebte Mehrsprachigkeit». Sa quintessence politique: «Les frontières linguistiques doivent disparaître. Aucune langue ne devrait être considérée comme supérieure aux autres.»
Qu'en est-il en Suisse? Il s’y produit exactement le contraire, répond Romedi Arquint. «Les cantons ont la souveraineté linguistique et se comportent comme des nationalistes en matière d'éducation.» Il accuse le principe de territorialité – la langue cantonale d'abord – de faire obstacle à la coexistence linguistique et parle d’un «scandale sans pareil.»
Avec ce diagnostic, Romedi Arquint nage à contre-courant. Et ceci malgré le soutien indirect que lui apporte Isabelle Chassot, directrice de l'Office fédéral de la culture (OFC). «Depuis 1848, le plurilinguisme et la diversité linguistique constituent une pierre angulaire de notre pays», a-t-elle écrit-elle dans la revue «Babylonia», ce qui engage la Confédération à «promouvoir la compréhension et les échanges entre les communautés linguistiques.» Elle affirme de plus que la Suisse «s’enrichit aussi de la présence de nombreuses langues liées aux mouvements migratoires.» Reconnaître cette réalité permet, selon elle, «de transcender les frontières linguistiques et culturelles, de partager des objectifs communs et de vivre une communauté de destins.»
Voilà pour la théorie. Mme Chassot sait qu’avec de telles affirmations, elle ne rencontre pas toujours la compréhension nécessaire. «Le plurilinguisme est un acte volontaire, jamais acquis définitivement, constamment remis en question», écrit-elle. «Sa préservation et sa promotion exigent un engagement continu et sans cesse renouvelé de la part des autorités politiques et des institutions suisses.»
Tisser des liens dans toute la Suisse
C'est là que le bât blesse, dit Romedi Arquint. Le plurilinguisme de la Suisse est un mythe, «une rumeur colossale», comme l’a si bien dit Dürrenmatt. Arquint cite l'exemple de Fribourg. «Le canton n'a pas d'écoles bilingues, bien qu'il soit bilingue. C'est de l'idéologie politique.»
Quelle serait l'alternative? Selon Arquint, les cantons devraient construire des ponts. Surtout dans les écoles. On devrait rendre obligatoire un séjour dans d'autres régions linguistiques. Il serait important que les élèves puissent vivre réellement le monde des autres langues. «Ils ont besoin de se rapprocher non seulement sur le plan scolaire, mais aussi sur le plan humain.»
Cela favoriserait la compréhension mutuelle et ferait vivre les langues étrangères comme langues de voisinage. «Tisser des liens dans toute la Suisse, de long en large et en travers. Par voie ludique, émotionnelle. Voilà ce que serait ma Suisse.»
Apprendre le romanche à Zurich
En plus des échanges scolaires, Arquint exige aussi des politiciens que les enfants puissent apprendre leur langue en dehors du territoire originaire de celle-ci. Pour préserver la langue romanche, par exemple, il est urgent de l'enseigner à Zurich, où vit «la plus grande communauté romanche.»
Un tel enseignement serait l’affaire des cantons. «Mais c'est là le problème: cela coûte cher et ne se fait donc pas.» Pas encore. Arquint défend une vision qui gagne du terrain. «Peut-être qu’avec leur lenteur, les cantons suisses y seront prêts dans 50 ans.»
Arquint rappelle lui aussi la responsabilité de la Confédération. Isabelle Chassot s'engage à fournir des fonds pour la préservation du romanche et de l'italien. Mais Arquint ne se contente pas de «belles paroles». «La Confédération devrait allouer des millions. Il faut des incitations financières pour que les cantons stimulent la compréhension mutuelle.»
Jusqu'au Conseil de l'Europe
Née en 1943, Romedi Arquint est un Romanche qui s’est mis en quatre depuis toujours non seulement pour les langues et la culture mais aussi pour des changements politiques.
Pasteur à Bivio, il a fait des prêches en romanche, italien et allemand. Professeur à Zuoz et Samedan, il a enseigné le romanche et la philosophie. Premier député socialiste d'Engadine, il a siégé pendant douze ans au Grand Conseil grison. De plus, il a été maire de la municipalité de S-chanf et président de la Lia Rumantscha et de l’Union fédéraliste des communautés européennes (UFCE).
En 1981, Arquint a été porté, comme il dit, «par une vague pro-romanche» à l’OFC où il s’est occupé des minorités linguistiques, en particulier du romanche. Comme expert suisse au Conseil de l'Europe à Strasbourg, Arquint a contribué à l’élaboration de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires.
L'amour pour le Danemark
Arquint se rend régulièrement au Danemark, pays de son épouse décédée. Il y aime «la langue, la mémoire, l'immensité du paysage, de la mer et du ciel», mais aussi «une culture du conflit qui distingue la personne de la cause qu’elle défend, on y cherche d’abord des solutions et non pas à avoir raison à tout prix.»
Arquint défend ces idéaux et se heurte ainsi, dit-il, à de fortes barrières en Engadine. Mais il y est resté «en toute sérénité» – motivé par le voisinage de plusieurs langues, le souvenir de sa vie de famille, et aussi, bien sûr, par son «besoin d'intervenir et de combattre les fronts figés».
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