Conspirateur ou nazi? Rommel, le général préféré d’Hitler

Thomas Burmeister, dpa

20.5.2018

Il y a 75 ans, l’Afrikakorps capitulait en Tunisie. Mais le «mythe de Rommel» perdure. Sur le lieu de son suicide forcé, on s’efforce de montrer les zones d’ombre et de lumière de la vie du général...

Faire un salut militaire en regardant le masque mortuaire de Rommel et son uniforme tropical: 75 ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale sur le front africain, l’Afrikakorps allemand a capitulé le 12 mai 1943 en Tunisie, les visiteurs sont toujours autant attirés par le dernier endroit où Erwin Rommel, également connu sous le nom de «Renard du Désert», a vécu. Et où il a été contraint de se suicider sur ordre d’Adolf Hitler: le village d’Herrlingen, devenu un quartier de la petite ville de Blaustein à proximité d’Ulm.

Karlo Hafner (69 ans) rapporte que pour certains, le salut militaire fait partie de la visite. Cet historien amateur, ancien directeur d’école, guide les visiteurs intéressés à travers l’exposition Rommel dans la villa «Lindenhof» de style art nouveau, autrefois construite par un entrepreneur juif et aujourd’hui propriété de la commune. Depuis 1989, elle abrite une exposition consacrée à Rommel dans deux de ses pièces.

On y trouve un ramassis d’objets de dévotion, mais aussi des lettres et des documents du plus grand intérêt sur le plan historique et militaire: des petites bouteilles remplies de sable provenant du désert où Rommel a combattu, et un vieux Cognac provenant des stocks militaires américains, «un cadeau d’admirateurs américains qui ne savaient probablement pas que Rommel ne buvait presque pas d’alcool», précise Hafner. Des anciens combattants britanniques en Afrique ont fait don de la maquette en bois d’un char d’assaut.

Lorsque la défaite en Afrique est devenue inévitable, Rommel a été prié de se retirer

Peut-on ici se préoccuper sérieusement de la vie et de la mort d’un homme qui était considéré comme le général préféré d’Hitler, qui a été mis en scène par le ministre de la propagande nazie Joseph Goebbels comme un héros national, et qui a finalement été poussé à se suicider en raison de sa sympathie présumée pour la Résistance?

Pas vraiment, si le visiteur va chercher les clés du musée à la mairie et qu’il déambule seul entre les vitrines où sont exposées des décorations militaires nazies ou le bâton de maréchal de Rommel.

En revanche, une visite à Herrlingen peut s’avérer beaucoup plus instructive lorsqu’on s’en remet à Karlo Hafner pour nous guider. Les visiteurs qui ne le savaient pas encore apprennent notamment que le «Renard du Désert» a été contraint de se retirer secrètement d’Afrique lorsque la défaite est devenue inévitable.

Le message radio est parvenu au haut commandement de la Wehrmacht dans la nuit du 12 mai 1945 vers 0h40. «Des munitions ont été tirées. Armes et équipements militaires détruits», a annoncé Hans Cramer, général des troupes blindées et successeur de Rommel. «Conformément aux ordres, l’Afrikakorps s’est battu jusqu’à l’incapacité de combattre. L’Afrikakorps doit se relever!» Le message radio se terminait par le cri de ralliement des combattants allemands en Afrique de la Première Guerre mondiale «Heia Safari!».

En Afrique, Rommel ne croyait déjà plus à la «victoire finale»

«18'594 Allemands, 13'748 Italiens, 35'476 Britanniques et 16'500 Américains avaient perdu la vie depuis le début des combats en septembre 1940», se désole Maurice Philip Remy, historien munichois et producteur de films documentaires. A mots couverts, les Allemands parlaient de «Tunisgrad» en référence au fiasco de Stalingrad.

Ce n’est que le 9 mai 1943 qu’ils ont appris par un communiqué que Rommel n’était plus en Afrique pour des raisons de santé présumées. Son nom était tout simplement trop précieux pour le régime nazi pour la poursuite de la guerre, a écrit l’historien Ralf Georg Reuth. Goebbels nota à l’époque dans son journal que Rommel «n’était pas un pantin que l’on pouvait manipuler à sa guise».

Comme l’écrit Remy dans son livre «Mythos Rommel» (Le mythe Rommel), le général avait déjà «cessé de croire à la "victoire finale"» en Afrique. Originaire de la ville souabe d’Heidenheim, Rommel a certes longtemps vénéré Hitler, mais il a également su résister aux ordres du Führer pour éviter des victimes inutiles, comme ce fut le cas lors de la bataille d’El Alamein.

En Afrique, Rommel, qui fut plus tard grièvement blessé sur le front occidental, avait la réputation de se battre loyalement et de respecter les règles de la Convention de Genève concernant le traitement des prisonniers et des blessés. Selon les historiens, il n’aurait pas cautionné l’attentat contre Hitler du 20 juillet 1944. Il n’aurait pas non plus dévoilé le projet d’attentat, dont il était en partie au courant. Lorsqu’Hitler a eu connaissance de tous ces faits, il a envoyé des généraux chez Rommel avec du cyanure le 14 octobre pour qu’il mette fin à ses jours.

Pour la Bundeswehr, Rommel est toujours considéré comme un personnage à part

«Il a pris une fiole de poison et s’est sacrifié pour sauver sa famille des griffes d’Hitler et de ses sbires,» peut-on lire sur une pierre commémorative détériorée non loin de l’ancienne résidence de Rommel sur l’actuelle Erwin-Rommel-Steige, devenue propriété privée.

L’exposition consacrée au feld-maréchal, la stèle commémorative et la tombe de Rommel sont aujourd’hui presque plus visitées par les étrangers que par les Allemands, comme le rapporte Karlo Hafner. Principalement des Américains, des Français, des Britanniques et même des Chinois. «Nous essayons de montrer à la fois le côté lumineux et le côté sombre de Rommel.» Au musée, Hafner propose un jeu de rôle aux visiteurs. Il adore notamment proposer ce jeu aux soldats de la Bundeswehr. Les participants tirent chacun une carte portant une inscription («héros national», «fonceur», «fasciste», «criminel de guerre», «héros nazi» ou «résistant») et sont invités à s’exprimer dans le cadre d’un débat.

Pour la Bundeswehr, Rommel est toujours considéré comme un personnage à part, dissident à ses heures. «En dépit de sa qualité de haut gradé au sein du régime nazi, il a à plusieurs reprises ignoré les ordres criminels», explique un porte-parole du ministère. La Bundeswehr a décidé de ne plus envoyer de garde d’honneur sur la tombe de Rommel lors de la commémoration annuelle de sa mort. Elle permet toutefois aux soldats qui le souhaitent de participer à la cérémonie.

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