«On a envie d'y croire»Soutien aux producteurs: et si l'on retournait à la ferme avec le «Franc Paysan»?
Valérie Passello
26.8.2024
Soutenir les producteurs de la région, encourager les gens à consommer des produits locaux et de saison, créer du lien: ce sont quelques-uns des buts du «Franc Paysan». Cette monnaie locale va voir le jour prochainement. Après une phase pilote, le concept devrait s'étendre dans toute la Suisse romande.
Valérie Passello
26.08.2024, 06:52
Valérie Passello
Ce n'est pas si loin et pourtant: pendant les années Covid, nombreux sont ceux qui ont pris conscience de l'importance de consommer local et de saison, les marchés paysans ont été pris d'assaut, les gens ont recommencé à cuisiner... Que reste-t-il de ce bel élan aujourd'hui? Pas grand-chose.
Mais une association à but non lucratif s'est créée sur l'impulsion de l'écologue (ndlr: Scientifique spécialiste d'écologie) Aurélien Roger, pour tenter de re-dynamiser de manière pérenne l’achat de denrées alimentaires directement aux producteurs de Suisse romande. Le but est aussi de promouvoir une alimentation saine, de faciliter les échanges au sein d’une communauté, en renforçant les liens sociaux et en soutenant les entreprises locales.
Originaire du Sud de la France, celui qui est désormais président de l'association du «Franc Paysan» raconte: «Cela fait maintenant onze ans que je côtoie le monde agricole en Suisse: je vois les problématiques auxquelles sont confrontés les petits agriculteurs».
Pour que le système du «Franc Paysan» fonctionne, il est crucial de s'adresser au porte-monnaie des consommateurs, ajoute Aurélien Roger: «D'où je viens, on dit: 'L'être humain est une feignasse', on a beau avoir des prises de conscience, on n'agit pas forcément... Pour moi, ce qui fait la différence, c'est l'aspect financier. Une monnaie locale amène des contraintes, il faut donc que les utilisateurs en tirent un bénéfice».
Amener une plus-value
Constitué de neuf personnes (Biologistes, ingénieur agronome, conseiller financier, spécialiste des systèmes de gouvernance partagés, entrepreneur dans le domaine des brasseries...), le comité entend amener une plus-value aux utilisateurs du «Franc Paysan». Idéalement, ces derniers devraient bénéficier de 20% de pouvoir d'achat en plus en payant leurs produits avec cette monnaie.
Comment ça marche?
1 Franc Paysan = 1 Franc suisse
Plus-value (idéalement 20%) pour le consommateur
Circulation dynamique en circuit court
Seuls les producteurs membres de l'association peuvent récupérer des Francs suisses en échange de Francs Paysans
Les producteurs commercialisent en priorité leurs propres produits
Placement éthique de la totalité du montant des Francs Paysans en circulation
Mais l'effort ne sera pas fourni par les producteurs: pour eux, pas de rabais à offrir aux clients réglant la note en Francs paysans. L'idée est d'approcher des entreprises ou collectivités, qui pourraient verser à leurs salariés des primes exemptes de prestations sociales (jusqu'à hauteur de 500 frs par employé) en «Francs Paysans».
Plusieurs communes de la Riviera et du Pays-d'Enhaut ont également été approchées: «Si les communes ont un budget 'durabilité' ou 'promotion du commerce local', elles peuvent décider d'acheter des «Francs Paysans» et de les revendre à leurs citoyens avec une plus-value», explique Aurélien Roger. Pour l'heure, la commune de Blonay-Saint-Légier a accepté de jouer le jeu, celle de Montreux soutiendra la promotion du projet.
«On accepte la part de risque»
Entre 2020 et 2022, beaucoup de monnaies locales ont été créées un peu partout, mais peu sont encore en circulation aujourd'hui. Les producteurs intéressés par le «Franc Paysan» ne craignent-ils pas un échec similaire?
Chez Potag'Oex dans le Pays d'Enhaut, Bastien Rossier se dit intéressé à rejoindre l'association. Il estime que les monnaies locales ont loupé leur cible: «Ce projet vise à valoriser la vente directe à plus grande échelle qu'une monnaie locale qui veut garder l'argent dans un petit territoire. Il s'agit de ramener les gens à la ferme et j'adhère à ce principe», déclare le co-fondateur de la microferme bio de montagne située aux Moulins.
Au Domaine du Brantard à Denens, Antoine Sauty se dit confiant: «Toutes proportions gardées, on accepte la part de risque. Si cela ne marche pas, ce ne devrait pas être une grosse perte économique, mais il y aura une certaine tristesse, car on a envie d'y croire et de tenter l'aventure!»
Ce producteur de vins et spiritueux salue «une initiative portée par des gens impliqués dans le monde agricole». Il voit aussi le potentiel du projet: «La frange d'avantages proposés incitera le consommateur à venir, cela va permettre de toucher les gens et de leur montrer qui on est et ce qu'on fait. C'est aussi de la visibilité et de la communication».
Outre l'arrivée d'une potentielle nouvelle clientèle, Bastien Rossier se réjouit de rencontrer d'autres producteurs: «Le réseautage entre les membres de l'association est aussi un aspect sympa: nous partageons les mêmes valeurs, nous pourrons mettre nos idées en commun et peut-être créer des collaborations».
Une phase pilote pour tâter le terrain
L'association va elle-même tenter de récolter des fonds pour offrir une plus-value au «Franc Paysan»: «Nous voulons obtenir 300'000 francs en 2025, ce qui nous permettra d'imprimer davantage de billets, de lancer une version numérique de la monnaie et d'engager une personne à temps partiel, car nous sommes pour l'instant tous bénévoles», souligne Aurélien Roger.
Fraîchement imprimés, les premiers billets seront mis en circulation le 10 septembre. Le comité se donne six mois pour recruter davantage de producteurs acceptant le «Franc Paysan».
Ce laps de temps permettra aussi de dégager les premières statistiques sur les habitudes des utilisateurs de cette monnaie et sur les besoins en termes de producteurs locaux. À terme, l'objectif est ambitieux: faire circuler le «Franc Paysan» dans toute la Suisse romande.