«C’est odieux» Sûreté nucléaire : la France secouée par une réforme décriée

AFP

9.4.2024

Clap de fin ? Le Parlement français pourrait entériner mardi la fusion controversée du gendarme du nucléaire, l'ASN, avec l'expert technique du secteur, l'IRSN, mais l'incertitude plane sur le vote des députés, qui l'avaient validée d'extrême justesse en première lecture.

La sûreté nucléaire fait débat en France (image d’illustration).
La sûreté nucléaire fait débat en France (image d’illustration).
ats

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L'Assemblée nationale et le Sénat doivent se prononcer sur le compromis scellé entre représentants des deux chambres pour cette réforme, poussée par l'exécutif malgré le risque d'une «désorganisation» du système redoutée par ses détracteurs.

Si le feu vert du Sénat, attendu dans la soirée, fait peu de doute, le vote des députés en fin d'après-midi est plus incertain: le 19 mars, en première lecture, ils n'avaient adopté le projet de loi qu'avec 260 voix contre 259.

Ce texte prévoit la création en 2025 d'une Autorité de sûreté nucléaire et de radioprotection (ASNR), issue du rapprochement de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) et de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), qui emploient respectivement environ 530 et 1.740 agents.

Dans le contexte d'un vaste plan de relance de l'atome, le gouvernement français estime que la fin d'un système dual permettra de «fluidifier» le secteur en réduisant les délais d'expertise et d'autorisation d'installations.

Les opposants alertent eux sur une possible perte d'indépendance des experts et de transparence à l'égard du public. Outre la gauche et des associations environnementales, la fronde est menée par les syndicats des deux entités.

«On espère toujours que les députés voteront en responsabilité, en dehors de toute pression politique», appelle Névéna Latil-Querrec (CGT), de l'intersyndicale de l'IRSN, qui a prévu des manifestations mardi près de l'Assemblée.

Les revirements du RN

Motif d'espoir pour les syndicats, l'article-clé de la réforme avait été rejeté en commission début mars à l'Assemblée, avant d'être rétabli en séance.

Un an plus tôt, c'est dans l'hémicycle qu'une coalition des oppositions avait réussi à faire barrage à la fusion, en rejetant un amendement de l'exécutif à un projet de loi de relance du nucléaire.

L'ensemble des groupes de gauche, pro ou antinucléaires, ont toujours voté contre cette réforme soutenue par le camp présidentiel - malgré des voix dissidentes en son sein -, avec l'appui d'une majorité des députés Les Républicains (LR, droite).

Les débats ont été marqués par les revirements des députés du Rassemblement national (RN, extrême droite), qui ont voté contre le projet de loi le 19 mars, après avoir approuvé dans l'hémicycle son article principal une semaine plus tôt.

Le député RN Jean-Philippe Tanguy s'était justifié en dénonçant le «comportement odieux» de la majorité, «qui consiste à nous faire la danse du ventre dans les couloirs, à vouloir notre soutien, mais à ne jamais entendre nos remarques pour améliorer leur réforme et ils se permettent de nous insulter en séance en nous traitant d'héritiers de Pétain».

Le RN, qui laisse plane le suspense sur sa position mardi, n'a pas pris part à la commission mixte paritaire (CMP), où des représentants du Sénat et de l'Assemblée ont préparé le compromis soumis aux deux chambres.

«Lait sur le feu»

«Nous devons transformer l'essai», espère le rapporteur du texte à l'Assemblée, Jean-Luc Fugit (Renaissance, majorité présidentielle), louant les garanties apportées en CMP sur l'indépendance de la future entité.

La nouvelle entité «sera surveillée comme le lait sur le feu», fait-il valoir, en soulignant qu'elle devra présenter son projet de règlement intérieur aux parlementaires.

Comme le demandait le Sénat, «la rédaction finale aboutit à une vraie séparation entre les agents», s'est réjoui le sénateur LR Patrick Chaize, corapporteur du texte. Un amendement adopté en CMP prévoit ainsi «pour chaque dossier» une distinction entre le personnel chargé de l'expertise et celui chargé d'une décision.

Mais, déplore la députée socialiste Anna Pic, «un même agent pourrait intervenir en tant qu’expert sur un dossier une semaine, puis prendre la casquette de décisionnaire la semaine suivante sur un autre». «On va confondre la décision et l'expertise», dénonce-t-elle.

Députés et sénateurs se sont également accordés sur un nouveau processus de nomination du président du groupe Orano, spécialiste français de l'uranium, via la procédure définie à l'article 13 de la Constitution, c'est-à-dire par le président de la République après avis des commissions permanentes du Sénat et de l'Assemblée.