La Grande-Bretagne sur les dents Trouver un dentiste à un coût abordable, une quête quasi-impossible

ATS

18.1.2024 - 07:44

«Un cauchemar absolu»: trouver un dentiste au tarif public est devenu mission quasi impossible pour beaucoup de Britanniques, réduits à s'orienter vers le privé pour ceux qui en ont les moyens, et pour les autres, à se passer de soins pourtant essentiels.

Selon une étude menée par la British Dental Association (BDA) en 2022, 90% des dentistes n'acceptaient plus de nouveaux patients aux tarifs publics réglementés. (image d'illustration)
Selon une étude menée par la British Dental Association (BDA) en 2022, 90% des dentistes n'acceptaient plus de nouveaux patients aux tarifs publics réglementés. (image d'illustration)
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A l'image de la crise plus générale qui traverse le système public de santé, le NHS, de plus en plus de dentistes le délaissent au profit des soins privés, davantage rémunérateurs et bien plus coûteux.

«En 2024, il est plus facile d'acheter une place pour un concert de Taylor Swift que d'avoir un rendez-vous chez un dentiste du NHS», a ainsi lancé dépitée début janvier au Parlement, la députée travailliste Ashley Dalton.

Les Britanniques sont très attachés au NHS qui leur permet, quels que soient leurs revenus, d'être suivis médicalement et soignés gratuitement -où dans le cas des soins dentaires à prix modiques. Mais selon une étude menée par la British Dental Association (BDA) en 2022, 90% des dentistes n'acceptaient plus de nouveaux patients aux tarifs publics réglementés.

Un sondage YouGov réalisé en mars 2023 montrait qu'un Britannique sur cinq n'était pas enregistré auprès d'un cabinet, privé ou public. Cela fait plusieurs mois que Danny White, père de famille au chômage, se démène pour trouver un dentiste pour lui, sa femme, qui souffre d'abcès à répétition, et ses deux filles, dont l'une a une dent qui pousse derrière ses dents de lait, et l'autre a besoin d'un appareil.

«Do it Yourself Dentistry»

«C'est un cauchemar absolu», raconte-t-il à l'AFP. «Nous essayons sans arrêt d'avoir un rendez-vous» pour la cadette, mais les trois cabinets de la ville «ont tous désinscrit leurs patients NHS» et n'offrent plus que des soins privés. «Ca nous coûterait 400 livres, juste pour la première consultation (pour toute la famille), sans aucun traitement inclus», s'étrangle cet habitant de Bury St Edmunds, dans l'est de l'Angleterre. Inabordable pour cette famille qui peine déjà à rembourser son crédit auto.

Comme lui, des milliers de Britanniques désespèrent de se faire soigner et médias et réseaux sociaux regorgent de témoignages de personnes contraintes de faire des centaines de kilomètres pour trouver un dentiste, de contracter un crédit pour se payer des soins, quand d'autres expliquent avoir profité d'un voyage à l'étranger pour se faire arracher une dent.

«Des gens finissent à l'hôpital pour des overdoses d'anti-douleur, certains meurent de septicémie à cause d'un abcès ou d'un cancer de la bouche non diagnostiqué», énumère Mark Jones, un conseiller en sécurité qui a lancé il y a trois ans la campagne «Toothless in England» (sans dent en Angleterre). «Certains s'arrachent eux-mêmes leurs dents», comme durant les confinements pendant la pandémie de Covid-19 qui avait vu se développer le phénomène de «Do it Yourself Dentistry» (les soins dentaires réalisés soi-même), s'indigne-t-il.

«Stade terminal»

Selon des données de l'OCDE, le Royaume-Uni compte 49 dentistes pour 100'000 habitants, le plus faible taux des pays du G7. Mais «le problème n'est pas le manque de dentistes, c'est le manque de dentistes qui choisissent de travailler pour le NHS», s'insurge Mark Jones.

Les services dentaires du NHS sont «à un stade quasiment terminal», avertissait mi-décembre le cercle de réflexion The Nuffield Trust dans un rapport sur le sujet. Progressivement, se met en place un système à deux vitesses: d'un côté ceux qui peuvent se permettre ou se saignent pour se faire soigner dans le privé, et de l'autre les plus modestes qui voient leur santé se dégrader.

Eddie Crouch, président de la BDA, reconnait que la situation est «choquante», mais rejette la faute sur le «sous-investissement» de l'Etat ces dix dernières années, ainsi qu'aux nombreux soins annulés pendant la pandémie. Il cible aussi une réforme de 2006 qui a modifié la rémunération des actes dentaires, les rendant moins attractifs pour les dentistes.

Désormais à peine plus de 70% des praticiens offrent des traitements dans le cadre du NHS, et parfois en très petite quantité, notait un récent rapport parlementaire. Le gouvernement conservateur a promis un plan pour le système public dentaire, dont le budget annuel est d'environ 3 milliards de livres pour l'Angleterre.

«Il faut surtout des incitations pour permettre aux dentistes de prendre de nouveaux patients», estime Eddie Crouch, c'est-à-dire une «rémunération supplémentaire» pour les traitements complexes. Mais il faut aussi des solutions pour régler l'"urgence» des patients en souffrance, prévient Mark Jones, qui suggère de développer des cabinets dentaires itinérants et des soins d'urgence à l'hôpital.