Condamnation inédite Un ex-agent de la Stasi ira en prison pour un meurtre vieux de 50 ans

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14.10.2024 - 16:52

La justice allemande a condamné lundi à dix ans de prison un ancien agent de la Stasi, la police politique de la RDA communiste, pour le meurtre d'un Polonais qui tentait de à l'Ouest il y a 50 ans, un jugement de portée historique.

Le tireur, âgé de 31 ans au moment des faits, a «exécuté sans pitié» un acte «planifié par la Stasi», la redoutable police secrète est-allemande durant la Guerre froide, a détaillé le juge.
Le tireur, âgé de 31 ans au moment des faits, a «exécuté sans pitié» un acte «planifié par la Stasi», la redoutable police secrète est-allemande durant la Guerre froide, a détaillé le juge.
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Le tribunal de Berlin a «la conviction indubitable» que Martin Naumann, 80 ans, est l'auteur des tirs qui ont coûté la vie de l'homme de 38 ans alors qu'il tentait de s'enfuir par le poste frontière de Friedrichstrasse à Berlin en 1974, a déclaré le président du tribunal Bernd Miczajka.

Même si le tireur, âgé de 31 ans au moment des faits, n'a pas agi «par motif personnel», il a «exécuté sans pitié» un acte «planifié par la Stasi», la redoutable police secrète est-allemande durant la Guerre froide, a détaillé le juge.

Le parquet allemand avait requis douze ans de prison contre l'ancien lieutenant, aujourd'hui retraité.

L'intéressé a rejeté l'accusation par la voix de ses avocats, qui demandaient son acquittement, jugeant insuffisantes les preuves selon lesquelles il a été le tireur. Il peut encore faire appel.

Selon une responsable des archives de la police secrète à Berlin, Daniela Münkel, il devient avec le verdict rendu lundi le premier ancien agent de la police secrète de l'ancienne Allemagne de l'Est communiste à être reconnu coupable de meurtre.

Parfum de guerre froide

Ce procès, enregistré en raison de sa valeur historique, a replongé depuis son lancement en mars le pays au temps de la Guerre froide, période durant laquelle l'Allemagne fut scindée en deux par le Rideau de fer entre RFA à l'Ouest et RDA à l'Est.

Il est l'aboutissement de décennies d'enquête laborieuse, parfois abandonnée puis rouverte, également côté polonais.

Il n'a été rendu possible que par l'apparition de nouvelles informations trouvées par deux historiens allemand et polonais dans les archives de la Stasi en 2016, liant M. Naumann à la mort du fugitif, et la découverte de nouveaux témoins. Une demande d'extradition de la Pologne a ensuite poussé le parquet de Berlin à rouvrir le dossier.

Czeslaw Kukuczka, qui rêvait d'une vie dans le «monde libre», est l'une des 140 personnes au moins qui ont trouvé la mort entre 1961 et 1989 en tentant de franchir le Mur de Berlin.

Le 29 mars 1974, il fait irruption à l'ambassade polonaise de l'ancien Berlin-Est communiste avec une fausse bombe pour forcer son départ vers l'Ouest.

Alertée par la Pologne, la police secrète allemande lui fait alors croire que sa sortie a été acceptée. Mais au moment où l'homme pense avoir réussi sa fuite après avoir franchi deux contrôles sans encombre, l'agent Naumann l'abat, un acte qui lui a valu d'être décoré.

Employé d'une entreprise du BTP, Czeslaw Kukuczka avait trois enfants qui se sont constitués partie civile mais n'ont pas assisté au procès.

«Victoire de la justice»

Pour Filip Ganczak, l'historien polonais qui a contribué à rassembler des éléments contre le condamné, ce jugement constitue «une victoire de la justice», même si elle intervient tardivement.

«Je considère ce jugement comme un signal important», a-t-il dit, tout en se disant sceptique sur le fait qu'il entraîne «des procès similaires» à l'avenir.

L'union des associations de victimes du régime communiste (UOKG) a salué le jugement, son président Dieter Dombrowski estimant toutefois «choquant» que le parquet n'ait agi que sur l'insistance des autorités polonaises.

Au cours des années 1990, 251 personnes ont été accusées de crimes commis pour le compte de la Stasi, selon les archives du gouvernement.

Les deux-tiers d'entre elles, dont de nombreux exécutants tels que les gardes-frontières, ont été acquittées ou les poursuites à leur encontre abandonnées, la plupart du temps pour faute de preuve ou absence de témoignages.

Seules 87 ont été condamnées, la plupart à des peines légères.

Même Erich Mielke lui-même n'avait pu être condamné pour ses activités à la tête de la Stasi de 1957 à 1989, faute de charges suffisantes.