Tribunal régionalUne sordide histoire d'esclavage en famille est jugée à Moutier
La Rédaction de blue News/Ats
7.11.2022
Un père et ses quatre fils doivent répondre de traite d'êtres humains, contrainte, lésions corporelles, mariage forcé, séquestration, viol et actes sexuels avec des enfants devant le Tribunal régional Jura bernois-Seeland à Moutier (BE), rapportent nos confrères du 24 Heures.
La Rédaction de blue News/Ats
07.11.2022, 10:57
07.11.2022, 11:50
La Rédaction de blue News/Ats
L'histoire narrée par le 24 Heures fait froid dans le dos. C'est celle d'une jeune Albanaise de 15 ans qui arrive illégalement en Suisse en 2007. Ses parents ont accepté de l'y envoyer pour qu'elle épouse un homme, contre son gré, et qu'elle vive «une vie meilleure», promise par le père du futur mari. Comme elle ne voulait pas se marier dans ces conditions, le prévenu aurait donné 300 euros à ses parents.
Mais l'eldorado espéré va se transformer en véritable cauchemar durant de longues années. Trois autres femmes vont subir le même sort qu'elle, sous le joug du père de famille et de ses quatre fils, âgés aujourd'hui de 26 à 38 ans. Les faits incriminés se sont déroulés durant plusieurs années dans des villages du Jura bernois.
Les délits reprochés à ces cinq Serbes de la minorité albanaise par le Ministère public sont lourds: traite d’êtres humains, contrainte, lésions corporelles, mariage forcé, séquestration, viol et actes sexuels avec des enfants. Le père est aussi sur la sellette pour fraude à l’aide sociale par métier et infraction à la loi sur les étrangers, relate le quotidien vaudois.
Le règne de la terreur
Dès son arrivée en Suisse, la jeune femme va recevoir les coups, viols répétés et menaces de son futur époux. Elle ne peut que rarement sortir de la maison, est sous surveillance permanente, n'a l'occasion d'appeler sa famille qu'au compte-gouttes. Elle devient mère à l'âge de 16 ans.
Les autres femmes du «foyer», arrivées entre 2003 et 2019, subissent le même sort. Toujours selon le 24 Heures, les quatre belles-sœurs se lèvent tôt le matin pour servir leurs beaux-parents et ne se couchent que lorsque ces derniers vont dormir. Tout contact avec l'extérieur, seules du moins, leur est proscrit.
Cité dans l'article, Dominic Nellen, l'avocat de deux d'entre elles, déclare: «Les femmes étaient brisées, intimidées, complètement dépendantes financièrement. Même si un médecin leur avait demandé si elles étaient battues, elles n’auraient probablement rien osé dire.»
N'étant pas venues légalement en Suisse, elle craignaient de se faire expulser, une menace sans cesse répétée par les hommes de la famille.
«J'ai peur pour mon avenir, je ne sais pas ce que l'avenir me réserve», a déclaré l'une des quatre jeunes femmes devant le tribunal collégial. Assistée d'un interprète, cette mère de deux enfants a raconté en albanais son vécu avec son mari, avec lequel elle est en procédure de divorce, et avec le reste de la famille.
«J'ai été frappée par mon beau-père», a affirmé la jeune femme d'une voix forte, l'accusant de se servir avec son mari de son enfant comme moyen de pression. Elle estime n'avoir jamais eu de libre choix et avoir été l'objet d'une surveillance constante, évoquant une caméra dissimulée dans sa chambre.
Le courage de fuir
Vers 2018, ajoutent nos confrères, «les services sociaux s'intéressent aux quatre jeunes femmes et exigent qu'elles cherchent du travail et suivent des cours d'allemand».
Cette ouverture au monde extérieur va aussi leur ouvrir les yeux sur la condition d'autres migrantes dont le sort est nettement moins sombre que le leur.
L'une des quatre femmes décide alors de s'enfuir. Les autres vont subir des menaces de mort, mais elles prennent aussi la fuite avec leurs enfants en 2019. Selon leur avocat, elles sont aujourd'hui à l'abri et «vont mieux», même si les séquelles des mauvais traitements subis restent vives.
L'audience devait se poursuivre avec l'audition des autres parties plaignantes. Illustration de la tension qui régnait dans le tribunal délocalisé pour l'occasion, les victimes âgées entre 24 et 36 ans n'ont pas voulu être confrontées avec les prévenus.
Les accusés ont suivi l'audience depuis une salle annexe par vidéoconférence. Présumés innocents tant que le tribunal n'aura pas tranché, ils comparaissent libres et contestent les faits qui leur sont reprochés. Le verdict devrait tomber le 24 novembre prochain. Le père et ses fils encourent jusqu’à 20 ans de prison.