Dans un entrepôt poussiéreux en Chine, un opérateur introduit dans une déchiqueteuse industrielle des photos de jeunes mariés radieux: un moyen de tourner la page pour leurs propriétaires divorcés mais aussi ...de produire de d'électricité.
AFP
12.04.2024, 14:06
Gregoire Galley
Les photos de mariage sont une chose sérieuse en Chine et les couples dépensent souvent des sommes importantes pour des clichés élaborés, pris dans les parcs, rues historiques ou temples, censés illustrer leurs liens supposés indéfectibles.
Mais dans un pays où des millions de divorces sont prononcés chaque année, de nombreuses photos de ces bonheurs conjugaux fanés finissent, au mieux, au grenier ou à la poubelle.
L'entreprise de Liu Wei, spécialisée dans la démolition, offre une alternative: détruire physiquement ces souvenirs photographiques. «De par notre activité, on a découvert que la destruction de biens personnels, c'était un peu une niche que personne n'avait repéré», explique le chef d'entreprise de 42 ans dans son usine de Langfang, située à environ 120 km de Pékin.
Il subsiste en Chine un certain tabou autour de la destruction des photos de personnes vivantes, mais l'entrepôt de Liu Wei reçoit en moyenne de cinq à 10 demandes par jour, venant de tout le pays.
Tout y passe: des grandes photos murales encadrées jusqu'aux petits albums. Des produits qui sont le plus souvent constitués de plastique, d'acrylique et de verre.
«Un obstacle»
Dans l'entrepôt, à l'aide d'une bombe de peinture noire, les employés masquent les visages des clients afin de préserver leur vie privée. Puis fracassent le verre à l'aide d'une masse. «Ce sont toutes des personnes qui essaient de tourner la page», déclare Liu Wei.
Les photos donnent un aperçu de ces familles, maintenant brisées, à des époques plus heureuses. Sur l'une d'elles, une femme en robe de mariée blanche est allongée sur un lit de fleurs, tandis qu'une autre montre un couple amoureux se regardant tendrement dans les yeux.
Là, des tourtereaux sont vêtus de maillots de football assortis, ballon en main, tandis qu'à côté gît l'image d'un homme épris de sa femme enceinte, sur le ventre de laquelle il pose tendrement son visage.
Depuis son lancement il y a un an, environ 1.100 clients ont déjà sollicité ce service de destruction, affirme Liu Wei. La plupart sont âgés de moins de 45 ans et environ deux tiers sont des femmes.
Des clients qui souhaitent souvent rester discrets. Plusieurs d'entre eux, sollicités par l'AFP, n'ont pas souhaité s'exprimer.
Leurs motivations pour se séparer des photos de mariage sont souvent complexes. «Peu le font par malveillance», déclare Liu Wei. «C'est surtout parce que cet objet suscite en eux certaines pensées ou certains sentiments» négatifs ou «qu'il constitue un obstacle» pour surmonter leur chagrin, souligne-t-il.
Déchets ménagers
Certaines personnes font le déplacement en personne pour assister à la destruction des photos, afin de mettre une sorte de point final à un chapitre de leur vie.
Etant donné le caractère irréversible du processus, Liu Wei contacte ses clients peu avant la destruction, afin de leur donner une dernière chance de récupérer leurs objets au cas où ils regretteraient leur décision.
Après avoir obtenu leur feu vert, il filme avec son smartphone ses collègues qui poussent doucement les photos dans les grandes dents grinçantes de l'immense déchiqueteuse. Les débris sont ensuite acheminés vers une usine, où ils sont traités avec d'autres déchets ménagers afin de produire de l'électricité.
Le taux de divorce a explosé en Chine après l'assouplissement des lois sur le mariage en 2003. Il a quelque peu baissé depuis l'instauration en 2021 par les autorités d'un obligatoire et controversé «délai de réflexion» d'un mois après toute demande de divorce.
La Chine a ainsi enregistré 2,9 millions de divorces en 2022, contre 4,3 millions en 2020. Le nombre de mariages, lui, a augmenté l'an passé pour la première fois depuis près de 10 ans.