«Où allons-nous?» «Est-ce que je peux avoir des chips?» Deux questions à la fois banales et fondamentales, posées par des enfants afghans traumatisés, déracinés, après avoir été évacués de Kaboul et accueillis au Qatar sans leurs parents.
Keystone-SDA
12.09.2021, 08:38
12.09.2021, 09:22
ATS
Il y a aussi dans ces questions l'avenir impossible à dessiner et le quotidien indispensable à préserver. Quelque 200 petits Afghans vivent depuis plusieurs jours à Doha, dans une structure d'accueil mise à leur disposition après leur évacuation de Kaboul.
Traumatisés, ils sont protégés des journalistes et des trafiquants de tous poils par la Qatar Charity, une organisation humanitaire de l'émirat à qui ils ont été confiés.
«Il est très difficile d'imaginer le traumatisme que ces enfants ont subi», explique un responsable humanitaire basé au Moyen-Orient ayant requis l'anonymat. «Ils sont en état de choc et de traumatisme semblable à ce que l'on a vu dans des endroits comme l'Irak et la Syrie, chez ceux qui revenaient de zones» contrôlées par l'Etat islamique (EI).
Bébé jeté
Comment sont-ils arrivés à l'aéroport de Kaboul? Pourquoi ont-ils été évacués à bord d'avions américains? Les autorités américaines n'ont pas répondu aux questions de l'AFP.
Un policier français qui était aux portes de l'aéroport raconte: une femme «désespérée a jeté son bébé dans les barbelés en direction des forces spéciales françaises qui l'ont récupéré et confié aux médecins américains». «Le bébé a été soigné et évacué vers Doha. C'était vraiment un nourrisson. Sa mère a disparu dans la foule», poursuit-il.
Autre histoire, autre drame. «Un homme est arrivé avec trois enfants en bas âge, qu'il a présentés comme les siens. C'était des orphelins. Il les a utilisés pour se faire ouvrir la porte sans doute, mais du coup, ils ont été évacués aussi», relate toujours le policier. Il ajoute: «Des histoires comme cela, on en a vu plein dans le chaos. Elles font partie de cette débâcle».
Les enfants dont s'occupent la Qatar Charity ont entre 8 et 17 ans. Les plus petits sont dans une autre structure. Tous ont un point commun: ils sont déchirés de l'intérieur.
«Ils peuvent s'attacher très vite»
Dans des logements gérés par la Qatar Charity – auxquels l'AFP n'a pas eu accès -, ils ont été répartis par âges ou par famille, lorsqu'ils sont arrivés à plusieurs. Mais dès que possible, ils sont regroupés en fonction des liens qui se sont tissés lors de leur exode.
«Ils peuvent s'attacher très vite les uns aux autres. Ils ont des sentiments plus forts que quiconque», constate Fatima-Zahra Bakkari, chargée de la coopération internationale pour l'ONG. Elle évoque deux enfants de 12 et 13 ans qui ne se lâchaient plus d'une semelle.
Lorsque le plus âgé a appris qu'il allait partir, il a décidé de ne plus dormir dans la même chambre que son copain, pour s'habituer à ne plus se voir. Il est des circonstances où l'on grandit plus vite que d'autres.
«On pleure tous beaucoup», confie Mme Bakkari, en parlant des volontaires de l'ONG. Mais «on rit beaucoup» aussi, quand les gamins se lèvent la nuit pour chaparder des paquets de chips.
«Les plus vulnérables»
La question de l'avenir, elle, ne fait pas rire, car elle n'a pas de réponse claire. «On leur dit que leur tour va venir. Mais on ne sait pas quand», reconnaît Mme Bakkari. «On leur dit qu'on sera avec eux jusqu'à ce qu'ils soient en sécurité».
La prise de pouvoir des talibans a replongé le pays dans les souvenirs de leur précédente période à la tête du pays (1996-2001), marquée par les pires exactions, les violences et la mort.
Selon l'UNICEF, l'agence de l'ONU pour l'enfance, environ 300 enfants non accompagnés ont été évacués d'Afghanistan. Un départ dans la cohue et la panique, le bruit et la fureur, les armes et la poussière.
Au Qatar, ils bénéficient d'un toit, reçoivent des soins physiques et psychologiques, de la nourriture et de l'amour. «C'est après que cela se complique», relève le responsable humanitaire ayant requis l'anonymat. «Le scénario idéal, c'est qu'on trouve un parent du premier degré. Une grand-mère, un oncle, une tante». Mais «souvent, on n'en est pas capable», regrette-t-il.