AfghanistanA Kandahar, le cannabis prospère toujours à l'ombre des talibans
ATS
30.10.2021 - 08:50
Les talibans se disent en guerre contre la narco-économie afghane, première ressource du pays dont ils ont eux aussi profité. Mais dans son immense plantation de cannabis du Sud, Ghulam Ali sait qu'il n'en sera rien.
30.10.2021, 08:50
30.10.2021, 09:16
ATS
Entouré de petites montagnes ocres, son champ est bien visible le long de la principale route du district de Panjwai, dans la province de Kandahar. Sur plus de trois hectares, les plants de cannabis montent à hauteur d'homme, du vert le plus foncé au jaune paille, dégageant leur odeur âcre.
«C'est la plantation la plus rentable, plus que n'importe quel fruit, et plus que l'opium qui nécessite plus d'investissements et de produits chimiques», explique Ghulam Ali, 30 ans, yeux bleus rieurs et turban noir.
Depuis vingt ans, sa famille d'une vingtaine de membres en vit dans une petite maison en terre séchée. Plutôt modestement, mais au-dessus des standards ruraux afghans. Tous les enfants vont à l'école et au moment de la récolte, la famille fait appel à des ouvriers extérieurs.
«C'est très facile de faire pousser ici avec ce climat», explique Ghulam Ali, en couvrant ses quatre enfants de regards et gestes affectueux. Chaque matin à l'aube, avant la prière, il parcourt tous ses plants. D'ici un mois aura lieu la récolte. La plante sera tamisée, pressée et chauffée pour en extraire une huile, ensuite transformée en pâte noirâtre: du haschisch.
Le fameux «afghan» a attiré dans les années 1960 et 1970 des caravanes entières de hippies, qui exportèrent ensuite variétés et techniques dans le reste du monde, du Liban au Rif marocain. L'Afghanistan est aujourd'hui le premier producteur mondial de drogue, principalement l'opium et le haschisch. Des poules aux oeufs d'or rares, dans l'un des pays les plus pauvres au monde.
Taxé à la source
Ghulam Ali vend sa poudre verte à des trafiquants locaux entre 10'000 et 12'000 roupies pakistanaises (PKR) le kilo (50 à 60 francs environ). «Ils le revendent le double» en Iran, au Pakistan ou en Inde, quand lui en tire une marge de 3000 roupies (15 francs environ) le kilo, dit-il.
Jusqu'à cette année, l'ancien gouvernement soutenu par les Occidentaux lui prélevait à la source «la taxe», une retenue officieuse qui réduisait de moitié ses revenus. «Sinon, ils menaçaient de détruire nos champs», souligne le fermier.
En face, dans les zones qu'ils contrôlaient, les rebelles talibans taxaient eux aussi l'opium et le cannabis pour financer leur guérilla. Les talibans désormais au pouvoir, Ghulam Ali espère échapper aux taxes: «Les talibans nous laissent tranquilles, je ne pense pas qu'ils vont nous demander de taxe, pas cette année, peut-être plus tard».
Discours officiel différent
Officiellement, et au nom de la loi islamique, le nouveau pouvoir afghan dit vouloir éradiquer la narco-économie et son effet collatéral ravageur, la toxicomanie, qui toucherait 10% de la population.
«Nous ne laisserons pas les fermiers faire pousser» du cannabis et du pavot à opium, assure à l'AFP le nouveau gouverneur de Kandahar, le mollah Yussef Wafa. Lui qui, lorsqu'il était le déjà influent «gouverneur de l'ombre» taliban de la province, finançait lui aussi la guérilla en taxant la drogue.
Ghulam Ali a entendu ces discours, mais sait aussi que les talibans ne peuvent pas trop s'aliéner les paysans dans cette région qui les a toujours beaucoup soutenus: «Les autres cultures ne nous rapportent rien», glisse-t-il, «ils le savent, et ils nous laissent faire».