Accord UE-Libye «Eloignez-vous, sinon nous vous tirons dessus avec des missiles»

ATS

14.11.2022 - 07:51

Lorsque les gardes-côtes libyens ont récemment menacé d'abattre l'avion de l'ONG Sea-Watch qui surveillait l'assistance à une embarcation de migrants en Méditerranée, la docteure allemande Leona Blankenstein a d'abord cru avoir mal compris.

Dans cette photo publiée par l'organisation non gouvernementale allemande Sea-Watch le mardi 1er octobre 2022, des migrants tentant de traverser la mer Méditerranée sur un canot pneumatique vers l'Europe sont vus lors d'une interception par un navire des garde-côtes libyens dans les eaux internationales. (image d'illustration)
Dans cette photo publiée par l'organisation non gouvernementale allemande Sea-Watch le mardi 1er octobre 2022, des migrants tentant de traverser la mer Méditerranée sur un canot pneumatique vers l'Europe sont vus lors d'une interception par un navire des garde-côtes libyens dans les eaux internationales. (image d'illustration)
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Keystone-SDA

«Eloignez-vous des [eaux] territoriales libyennes, sinon nous vous tirons dessus avec des missiles SAM», a averti le Fezzan, l'un des patrouilleurs fournis par l'Italie à la Libye pour intercepter les migrants tentant de quitter le pays déchiré par la guerre.

Les deux pays ont signé un accord parrainé par l'UE pour empêcher les migrants de traverser la Méditerranée centrale, un texte controversé qui refait débat alors que Rome a adopté une ligne dure en matière de politique migratoire.

«C'est très bruyant dans l'avion et j'ai pensé que je les avais peut-être mal compris», a déclaré à l'AFP Mme Blankenstein, qui survolait les eaux maltaises, ce 25 octobre, à bord de l'avion de l'organisation humanitaire allemande Sea-Watch.

100'000 interceptions

L'équipage libyen a fait monter les migrants à leur bord avant de retirer le moteur de leur canot pneumatique et de lui tirer dessus jusqu'à ce qu'il prenne feu, selon Mme Blankenstein et des séquences vidéo diffusées par Sea-Watch.

«C'est arrivé en quelques secondes [...] J'étais inquiète. Leur comportement est très imprévisible», a-t-elle confié, expliquant avoir quitté la zone immédiatement après avoir entendu l'avertissement.

Selon les associations, quelque 100'000 personnes ont ainsi été interceptées depuis la signature de l'accord avec la Libye en 2017 par l'Italie et l'UE, qui ont accepté de former et d'équiper les gardes-côtes libyens. Malgré les appels à annuler l'accord, celui-ci a été automatiquement renouvelé au début novembre, quelques jours après l'entrée en fonction du gouvernement d'extrême droite italien de Giorgia Meloni.

L'accord est né sous la pression du grand nombre de réfugiés fuyant les conflits en Syrie, en Irak et en Libye pour trouver refuge en Europe et après une série de naufrages meurtriers, avec un record de 5000 morts ou disparus en mer Méditerranée en 2016.

L'objectif était «d'empêcher les pertes de vies humaines en Méditerranée et en même temps de réprimer les réseaux de trafic de migrants et de traite des êtres humains», selon la Commission européenne.

«Très efficace»

3140 personnes ont été signalées mortes ou portées disparues en 2017 contre 2062 l'an dernier, selon l'Organisation internationale pour les migrations (OIM). «Travailler avec les autorités des pays tiers pour empêcher les migrants d'arriver en Europe a été l'un des principaux axes de la politique européenne», relève Luigi Scazzieri, du groupe de réflexion Centre for European Reform.

L'accord Italie-Libye s'est avéré «très efficace» pour réduire le nombre d'arrivées, du moins dans un premier temps. Mais des organisations humanitaires dénoncent un «Far West», avec des milices armées se faisant passer pour des gardes-côtes libyens et des cas documentés d'utilisation de balles réelles contre des embarcations de migrants en haute mer.

Les critiques pointent un manque de responsabilité et de transparence sur les destinataires des subventions en Libye. Entre-temps, bon nombre des personnes interceptées se seraient retrouvées dans des centres de détention libyens, comparés par le pape François à des camps de concentration.

Refoulement «illégal»

Les ONG Save the Children, Médecins sans frontières et Amnesty International affirment que les migrants en Libye sont torturés, victimes de violences sexuelles ou d'esclavage. Mais les autorités libyennes démentent. «Les arrestations sont effectuées conformément aux règles en vigueur», a assuré un responsable des migrations.

Les associations affirment également que l'agence de l'UE Frontex, qui utilise des avions pour repérer les migrants en détresse, aide les Libyens.

Pour Felix Weiss, porte-parole de la branche Seabird de Sea-Watch, «les gardes-côtes libyens ne sont pas professionnels. Ils ont besoin de la surveillance aérienne et des conseils de l'UE pour trouver les bateaux de migrants».

L'avocat et le défenseur des droits fondamentaux Arturo Salerni a déclaré à l'AFP que le «refoulement» des migrants des zones européennes de recherche et de sauvetage vers la Libye était, en vertu du droit de l'UE, «illégal si les États européens sont complices». Interrogé, le gouvernement italien n'a pas donné suite.