Risquant plusieurs années de prison, l'opposant Alexeï Navalny a estimé mardi au tribunal que son affaire visait à faire peur pour mettre fin au mouvement de contestation croissant des Russes, avant de prononcer un réquisitoire contre Vladimir Poutine.
Ces poursuites contre le détracteur du Kremlin, qui a survécu à un empoisonnement en août, ont nourri de nouvelles tensions russo-occidentales et un mouvement de contestations en Russie.
«Le plus important dans ce procès est de faire peur à une quantité énorme de gens. On en emprisonne un pour faire peur à des millions», a déclaré l'opposant de 44 ans.
Il a aussi dénoncé les milliers d'arrestations lors de manifestations de soutien ces deux derniers week-ends, les rassemblements d'opposition les plus importants depuis des années.
«Vous ne pourrez pas emprisonner tout le pays!», a-t-il martelé depuis la cage en verre réservée aux prévenus.
Puis Alexeï Navalny a répété que M. Poutine était celui qui avait ordonné au FSB, les services de sécurité, de le tuer, en l'empoisonnant en août en Sibérie à l'aide d'un agent neurotoxique.
Il «entrera dans l'histoire comme l'Empoisonneur de slips», a-t-il lâché.
Convalescence
Fin décembre, M. Navalny avait affirmé dans une vidéo avoir piégé au téléphone un agent du FSB en se faisant passer pour l'assistant d'un haut responsable, celui-ci révélant que le poison avait été appliqué sur un de ses sous-vêtements, subtilisé dans son hôtel lors d'un voyage en Sibérie.
L'affaire examinée mardi par la cour concerne une plainte des services pénitentiaires, qui l'accusent d'avoir violé son contrôle judiciaire en ne pointant pas, se trouvant en convalescence en Allemagne, comme il aurait dû le faire dans le cadre d'une condamnation avec sursis remontant à 2014.
Il a été arrêté le 17 janvier à la demande des services pénitentiaires (FSIN) à son retour d'Allemagne, où il était resté cinq mois en convalescence après son empoisonnement.
«Qu'est-ce que j'aurais pu faire d'autre ?»
M. Navalny a assuré à l'audience avoir prévenu les autorités de son adresse et des causes de son absence. «Qu'est-ce que j'aurais pu faire d'autre?», a-t-il dit.
La tentative d'assassinat puis l'interpellation de l'opposant ont aussi déclenché de nouvelles critiques occidentales et le chef de la diplomatie européenne, Josep Borrell, est attendu vendredi à Moscou où il a demandé à voir M. Navalny.
Le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, a estimé mardi que ce serait «une bêtise» de lier les relations entre l'UE et la Russie au sort du «résident d'un centre de détention».
A l'audience mardi, les représentants de l'accusation ont réaffirmé vouloir que les trois ans et demi de prison avec sursis prononcés en 2014 contre M. Navalny soit transformés en sentence ferme.
Dénoncé par la Cour européenne
Le verdict de l'époque avait été dénoncé par la Cour européenne des droits de l'homme. Il s'agirait de la première longue peine de détention pour M. Navalny.
Dans un tribunal plein à craquer, l'opposant a adopté une attitude de défiance, interpellant les représentants du parquet et des services pénitentiaires, sous les yeux de sa femme Ioulia et de nombreux diplomates étrangers.
Près de 300 personnes demandant sa libération ont aussi été arrêtées mardi, selon l'ONG spécialisée OVD-Info, alors que les alliés de l'opposant avaient appelé à un rassemblement devant le tribunal.
Affaires en pagaille
Outre cette affaire, M. Navalny est la cible de multiples procédures. Vendredi, il comparaîtra pour «diffamation» envers un ancien combattant. Il est aussi accusé d'escroquerie pour avoir selon les autorités détourné des dons adressés à son organisation.
Les actions en justice contre ses alliés et collaborateurs se sont également multipliées, quasiment tous étant assignés à résidence, incarcérés ou poursuivis.
L'opposant a néanmoins réussi à mobiliser des dizaines de milliers de partisans les 23 et 31 janvier dans une centaine de villes, notamment dans les régions, traditionnellement plus apathiques que Moscou ou Saint-Pétersbourg.
Cette contestation intervient en outre à quelques mois des législatives prévues à l'automne, sur fond de chute de popularité du parti du pouvoir.
Ces protestations sont aussi alimentées par la diffusion par le Fonds de lutte contre la corruption (FBK) d'Alexeï Navalny d'une enquête accusant Vladimir Poutine d'être le véritable bénéficiaire d'un «palais» monumental sur les rives de la mer Noire, vue plus de 100 millions de fois sur YouTube.
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