Justice internationaleAung San Suu Kyi nie tout génocide
ATS
11.12.2019 - 15:25
L'ancienne icône de la démocratie Aung San Suu Kyi a nié mercredi devant la Cour internationale de justice (CIJ) toute «intention génocidaire» en Birmanie. Elle s'exprimait en lien aux exactions commises contre la minorité musulmane rohingya.
La cheffe de facto du gouvernement birman est apparue ferme et déterminée à la tête de la délégation birmane devant la Cour, où elle défend personnellement l'intérêt de son pays, à majorité bouddhiste. La Birmanie a été mise en cause par la Gambie, au nom du monde musulman, pour les massacres et persécutions contre la minorité musulmane des Rohingyas.
Depuis août 2017, quelque 740'000 Rohingyas se sont réfugiés au Bangladesh pour fuir les exactions de l'armée birmane et de milices bouddhistes, qualifiées de «génocide» par des enquêteurs de l'ONU. Des milliers de personnes ont été tuées et violées.
La Gambie, mandatée par les 57 Etats membres de l'Organisation de la coopération islamique, estime que la Birmanie a violé la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, un traité de droit international approuvé en 1948. Autrefois saluée par la communauté internationale pour son opposition à la junte militaire birmane, Suu Kyi, lauréate du prix Nobel de la paix en 1991, se tient désormais du côté de l'armée de l'Etat de l'Asie du Sud-Est, en proie à un «conflit armé interne», selon ses dires.
«Force disproportionnée»
«Veuillez garder à l'esprit cette situation complexe et le défi lancé à la souveraineté et à la sécurité dans notre pays lorsque vous évaluez l'intention de ceux qui ont tenté de faire face à la rébellion», a-t-elle déclaré devant la CIJ, plus haute juridiction de l'ONU.
«On ne peut exclure qu'une force disproportionnée a été utilisée par les membres des services de défense dans certains cas au regard du droit international humanitaire ou qu'ils n'aient pas établi une distinction suffisamment claire entre les combattants et les civils», a concédé la dirigeante de 74 ans. Toutefois, «dans les circonstances, l'intention génocidaire ne peut pas être la seule hypothèse», a-t-elle poursuivi, ajoutant que la justice birmane pouvait juger elle-même d'éventuels «crimes de guerre».
L'intervention de 30 minutes de Mme Suu Syi a été accueillie avec stupéfaction par certains Rohingyas: «Elle ment sans gêne devant la plus haute Cour. Quelle honte!«, s'est exclamé Robi Ullah, qui a trouvé refuge en Inde. «Toutes les preuves ont été soumises à la CIJ. Comment peut-elle nier les accusations de génocide?«, s'est interrogé un autre réfugié rohingya, Mohammad Yusuf.
«Tableau trompeur et incomplet»
Les avocats de la Birmanie ont devant la CIJ argué que la Gambie n'avait pas recueilli assez d'éléments pour prouver l'intention d'un génocide, une qualification notoirement difficile à démontrer dans le droit international. La veille, la dirigeante avait assisté impassiblement aux appels de la Gambie pour que la Birmanie «cesse le génocide» contre les Rohingyas.
«Malheureusement, la Gambie a présenté à la Cour un tableau trompeur et incomplet de la situation dans l'Etat Rakhine», a-t-elle rétorqué mercredi. Devant le Palais de la Paix à La Haye, où siège la CIJ, quelque 250 sympathisants de la dirigeante birmane étaient rassemblés, brandissant des pancartes avec le visage de Mme Suu Kyi et les mots: «nous sommes à vos côtés».
La Gambie demande à la CIJ des mesures d'urgence pour mettre fin aux «actes de génocide en cours» en Birmanie, en attendant que soit rendu l'arrêt sur le fond de l'affaire. Ce jugement pourrait attendre des années. Il ne s'agit pas de la seule procédure judiciaire actuellement lancée dans cette affaire. La Cour pénale internationale (CPI), qui siège également à La Haye, qui poursuit des individus, a donné en novembre son feu vert à une enquête sur les crimes présumés commis contre les Rohingyas.
Enfin, une plainte visant notamment Mme Suu Kyi a été déposée en Argentine contre la Birmanie, invoquant le principe de justice universelle. La CIJ, créée en 1946 pour régler les différends entre Etats membres, n'a établi qu'une seule fois qu'un génocide avait été commis: le massacre de 8000 hommes et garçons musulmans en 1995 à Srebrenica, en Bosnie.
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