Crise ukrainienneLa diplomatie gazière de Berlin: un «échec complet»
ATS
24.2.2022 - 07:46
Gueule de bois à Berlin: la crise entre Moscou et Kiev impose à l'Allemagne une cure accélérée pour réduire sa dépendance au gaz russe. Elle signe l'échec d'une diplomatie bienveillante envers le président russe Vladimir Poutine depuis plus de vingt ans.
24.02.2022, 07:46
ATS
«Échec complet», assène la chaîne de télévision publique ARD, tandis que le quotidien Süddeutsche Zeitung, parle de «champs de ruines diplomatiques». En cause: la politique de Berlin face à Moscou depuis le début du millénaire, alors que 55% du gaz importé en Allemagne vient de Russie.
Celle-ci a en effet volé en éclat mardi avec l'annonce de la suspension par Berlin de l'autorisation du gazoduc germano-russe Nord Stream II, suite à la reconnaissance de l'indépendance de deux républiques séparatistes prorusses en Ukraine par Moscou.
La Russie promet déjà des lendemains énergétiques difficiles à l'Allemagne. «Bienvenue dans un monde nouveau, où les Européens vont devoir payer 2000 euros pour 1000 m3 de gaz», a averti mardi l'ancien président russe Dmitri Medvedev.
Forte dépendance
Désormais l'Allemagne s'inquiète: comment se passer du gaz russe et corriger plus de vingt ans de diplomatie énergétique tournée vers la Russie? Le gaz représente plus d'un quart de sa consommation d'énergie et 50% du chauffage de ses logements.
Le pays «peut» se passer de gaz russe à terme, a néanmoins assuré mercredi le ministre allemand de l'économie et du climat, Robert Habeck, à la radio publique allemande. Mais y renoncer totalement se traduirait en premier lieu par «un gros manque» à combler sur le marché de l'énergie, avec pour première conséquence de «faire monter le prix» du gaz, a-t-il toutefois admis.
Or, ces prix sont déjà très élevés. Selon l'office allemand des statistiques, ils ont grimpé de 32,2% en janvier sur un an. Cette situation explosive suscite le mécontentement croissant des consommateurs allemands et fragilise la première économie de la zone euro.
«La hausse du prix du gaz menace d'étouffer l'économie [...] la situation est si grave que même des entreprises moyennes envisagent une délocalisation», selon le lobby industriel BDI.
Diplomatie sur la sellette
Pour faire face, le pays parie à court terme, sur une baisse de la demande, grâce à des températures plus douces, alors que l'hiver touche à sa fin. A moyen terme, le pays veut changer progressivement de fournisseurs, en développant la construction de terminaux méthaniers pour imposer du gaz liquide via la mer, depuis le Qatar, les États-Unis d'Amérique ou encore le Canada.
La situation actuelle est la conséquence des politiques des gouvernements allemands successifs, qui ont soigné leur relation avec Moscou ces vingt dernières années. Berlin voulait à la fois assurer son approvisionnement en gaz et pensait par ce biais promouvoir in fine la démocratisation de la Russie, une politique baptisée en Allemagne par le slogan: «Le changement par le commerce».
Cette stratégie initiée par l'ex-chancelier social-démocrate Gerhard Schröder – aujourd'hui étroitement lié au complexe gazier russe – a été poursuivie sa successeure, la conservatrice Angela Merkel.
Avec le gazoduc Nord Stream II, activement soutenu par l'ancienne chancelière, la dépendance gazière de l'Allemagne à l'égard de Moscou aurait dû grimper à 70%, selon les experts.
«Erreur fatale»
La politique russe de Berlin a été «l'erreur fatale» de Mme Merkel, s'emporte ainsi le quotidien le plus lu d'Allemagne, Bild. «Il aurait mieux fallu ne pas construire Nord Stream II», a abondé Robert Habeck, qualifiant «d'erreur» la diplomatie gazière de l'ancien gouvernement.
La nouvelle ministre des affaires étrangères, l'écologiste Annalena Baerbock, a déjà infléchi le cap de la diplomatie allemande. Celle-ci doit être davantage basée «sur la défense des valeurs» démocratiques et moins sur les intérêts économiques. Et la priorité est à la «protection du climat». Berlin compte désormais sur sa transition énergétique pour sortir de sa dépendance aux importations d'énergies fossiles.
Mais un obstacle demeure, car, à court terme, cette transition devrait paradoxalement pousser le pays à consommer plus de gaz, du fait de la sortie du nucléaire, qui sera achevée en fin d'année, et de celle du charbon, prévue en 2030.