À la fois utile et gênant Le patron de Wagner vise la lune, mais ne se fait pas que des amis

ATS

23.2.2023 - 07:43

Il est utile au Kremlin, mais joue les poils à gratter des élites. Il est ambitieux à l'extrême et viscéralement provocateur. Le patron du groupe paramilitaire Wagner Evguéni Prigojine affiche des ambitions politiques exponentielles, suscitant de profondes inimitiés.

Tout, chez l'homme d'affaires, est clivant. Son physique impressionnant, son regard noir sous un crâne lisse, son passé de criminel, ses saillies verbales. (archives)
Tout, chez l'homme d'affaires, est clivant. Son physique impressionnant, son regard noir sous un crâne lisse, son passé de criminel, ses saillies verbales. (archives)
KEYSTONE/AP

23.2.2023 - 07:43

Longtemps tapis dans l'ombre, l'homme est sorti du bois à l'automne dernier pour revendiquer la paternité de Wagner, clamer des victoires militaires, assumer ses fermes à trolls et son art de la manipulation des opinions, notamment africaines, tout en s'installant avec fracas dans le paysage politique russe.

Jamais, selon les analystes occidentaux consultés par l'AFP, un acteur non officiel n'avait pris une telle importance dans l'action internationale de la Russie. Mais cette fulgurance est fragile.

«Il est à la fois loué et diabolisé» et ses liens réels avec le président russe Vladimir Poutine font l'objet de tous les fantasmes, souligne Tatiana Stanovaïa, experte de la Russie pour le groupe de réflexion américain Carnegie Endowment For International Peace.

Un «entrepreneur de violence»

Chacun de ses succès lui vaut la promesse d'un avenir brillant, chaque échec annonce sa chute imminente. Mais, «pour l'heure, aucune de ses versions n'est totalement réaliste», tempère-t-elle.

Tout, chez l'homme d'affaires, est clivant. Son physique impressionnant, son regard noir sous un crâne lisse, son passé de criminel – il a passé neuf ans en prison pour vol et fraude -, ses saillies verbales.

«C'est ce qu'on appelle un 'entrepreneur de violence', une figure qui vient des milieux criminels et qui a toujours utilisé la violence rhétorique et physique comme un moyen de faire avancer ses intérêts», explique Maxime Audinet, de l'institut de recherche stratégique de l'école militaire (IRSEM) à Paris.

Et ses intérêts ont, à l'évidence, gagné la sphère politique. «Il cherche à poser un pied dans l'espace du national-populisme, en proie à des luttes intestines depuis la mort en avril 2022 de Vladimir Jirinovski, le chef historique du LDPR», parti ultranationaliste, poursuit Maxime Audinet. «Cette partie du spectre politique russe est potentiellement très prometteuse pour l'après-Poutine».

«Politiquement sans défense»

L'homme d'affaires a nié vouloir monter un mouvement, mais il prend une place que ne justifie pas forcément son réel entregent. Il ne jouit en effet que d'accès indirects au patron du Kremlin, avec qui il n'a pas travaillé directement et dont il n'a jamais été l'ami.

«Il a peut-être carte blanche de Poutine dans son domaine de responsabilité [...] mais en dehors, il est politiquement sans défense», assure Tatiana Stanovaïa.

«Il n'appartient pas au premier cercle du régime poutinien», confirme Maxime Audinet. Mais «il est possible que sa notoriété croissante lui monte à la tête. Malgré son statut non officiel, l'ancien bandit de Léningrad est devenu un acteur incontournable».

Wagner, de fait, a engrangé de réelles victoires militaires en Ukraine et progresse en Afrique: le groupe est installé en Centrafrique et au Mali, quoique Bamako s'en défende. Il a servi au Mozambique, il flirte avec le Burkina Faso.

Querelle «systémique» avec l'armée

Inévitablement, il mobilise une multitude d'ennemis, car il se permet de discréditer régulièrement l'armée, son état-major et le ministre de la défense Sergueï Choïgou.

Dernier épisode en date, mercredi, lorsqu'il a exhorté les Russes à faire pression sur l'armée pour fournir des munitions à ses hommes. «Des obus, il y en a. Mais il faut que des politicards, des salauds, des ordures apposent leur signature» pour les livraisons, s'est emporté le bouillant trublion.

Pour Peter Rough, de l'institut Hudson à Washington, «Prigojine permet à Poutine de diffuser via un tiers le mécontentement» à l'égard de l'armée, qui souffre en Ukraine depuis un an. Et il bénéficie selon lui, sans aucun doute, du soutien financier de l'Etat russe.

Mais «son conflit avec le ministère de la défense est systémique. Il reçoit de l'Etat des sommes énormes, au détriment des militaires», souligne pour l'AFP le journaliste d'investigation russe du Dossier Center, Denis Korotkov. «Il n'a pas d'amis et presque pas d'alliés» dans l'armée, assure-t-il, jugeant que ses propos mercredi témoignent de ce «qu'il n'a pas de ligne de communication directe avec Poutine ou que cette ligne est interrompue».

En recrutant pendant quelques semaines des mercenaires dans les prisons, il s'est attiré les foudres de la magistrature et commence à être dans le viseur des services de renseignements.

Prigojine ose tout. Mais «sa relation avec l'Etat est informelle donc fragile et pourrait s'interrompre sans avertissement préalable», observe Tatiana Stanovaïa.

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