BirmanieBirmanie: la contestation s'intensifie, l'armée poursuit les arrestations
ATS
5.2.2021 - 14:53
Des centaines de manifestants se sont réunis vendredi à Rangoun pour protester contre le coup d'État qui a renversé le gouvernement civil d'Aung San Suu Kyi. L'armée poursuit de son côté les arrestations.
Professeurs et étudiants se sont rassemblés devant l'Université Dagon à Rangoun. Il s'agit de la première manifestation d'importance contre le putsch.
Les manifestants ont fait le salut à trois doigts, un geste de résistance emprunté aux films américains Hunger Games. Ils ont scandé «longue vie à Mother Suu», Aung San Suu Kyi, «assignée à résidence» dans la capitale Naypyidaw et «en bonne santé», d'après un porte-parole de son parti, la Ligue nationale pour la démocratie (LND).
Grève
«Tant qu'ils (les généraux) garderont le pouvoir, nous ne viendrons pas travailler. Si tout le monde fait ça leur système ne tiendra pas», a déclaré Win Win Maw, professeur au département d'histoire. Un rassemblement similaire a eu lieu devant une autre université de la ville.
Des dizaines de fonctionnaires de plusieurs ministères ont également cessé le travail, arborant un ruban rouge, couleur du parti d'Aung San Suu Kyi, la Ligue nationale pour la démocratie (LND).
La veille, des avocats et médecins avaient pris part à la protestation, tandis que des habitants de Rangoun klaxonnaient et tapaient sur des casseroles pour «chasser les démons», les militaires.
Dizaines d'interpellations
Quatre étudiants, arrêtés lors d'un petit rassemblement à Mandalay (centre), ont été inculpés vendredi. Les généraux, qui ont mis brutalement fin lundi à la fragile démocratie, poursuivaient les interpellations, malgré les condamnations internationales.
Win Htein, 79 ans, très proche d'Aung San Suu Kyi, a été interpelé vendredi à l'aube, selon la LND. Ce vétéran du parti a passé plus de vingt ans en détention sous la junte de 1989 à 2010. Min Htin Ko Ko Gyi, un réalisateur qui a déjà fait de la prison pour avoir critiqué l'armée, a également été interpellé, d'après son neveu.
Près de 150 responsables politiques et activistes, ont été arrêtés, d'après l'Association d'assistance aux prisonniers politiques, une ONG basée à Rangoun.
Washington envisage des sanctions
Les événements restent au coeur de l'agenda international. Le président américain Joe Biden a exhorté les généraux putschistes à «renoncer au pouvoir», son administration envisageant des «sanctions ciblées» contre certains.
En revanche, l'ONU a adouci le ton. Le Conseil de sécurité a adopté une déclaration commune exprimant sa «profonde préoccupation» et appelant à la libération des détenus, mais n'a pas formellement condamné le coup d'Etat.
Chine principal soutien de la junte
La Chine et la Russie se sont opposées à une telle formulation, selon des diplomates sous couvert d'anonymat. Pékin reste le principal soutien de la Birmanie à l'ONU, où elle a contrecarré toute initiative contre l'armée lors de la crise des musulmans rohingyas.
Face aux condamnations internationales, les entreprises étrangères sont sous pression. Le brasseur japonais Kirin Holdings a annoncé vendredi mettre fin à son partenariat avec un conglomérat contrôlé par les militaires.
Nouvelle donne avec internet
La peur restait vive dans le pays, qui a déjà vécu près de 50 ans sous un régime militaire depuis son indépendance en 1948. Mais, depuis les dernières répressions de 1988 et de 2007, la donne a changé: les Birmans utilisent désormais internet pour résister.
Des groupes appelant à la «désobéissance civile» se sont créés sur Facebook, porte d'entrée d'internet pour des millions d'habitants. En réponse, l'armée a ordonné aux fournisseurs de bloquer l'accès à la plate-forme. Ses services étaient toujours perturbés vendredi.
Du coup, beaucoup sont passés sur Twitter et les mots-dièse #HearthevoiceofMyanmar, #RespectOurVotes ont été utilisés des millions de fois, notamment par plusieurs célébrités birmanes.
Le putsch a aussi ses partisans
Le putsch a aussi ses partisans, dont plusieurs centaines se sont réunis jeudi à Naypyidaw.
Le chef de l'armée, Min Aung Hlaing, qui concentre désormais l'essentiel des pouvoirs, a justifié son passage en force en allégeant d'"énormes» fraudes lors des législatives de novembre, remportées massivement par la LND. Mais les observateurs n'ont pas décelé de problèmes majeurs lors du scrutin.
Ambition personnelle
En réalité, les généraux craignaient que leur influence diminue après la victoire de la LND, qui aurait pu vouloir modifier une Constitution très favorable aux militaires, estiment des analystes.
Min Aung Hlaing, paria à l'international depuis les exactions de l'armée contre les Rohingyas, a aussi renversé la dirigeante par ambition politique personnelle alors qu'il était proche de la retraite, d'après ces experts.
Aung San Suu Kyi a été inculpée pour avoir enfreint une obscure règle commerciale.