TurquieColère après l'abandon d'un traité protégeant les femmes
ATS
20.3.2021 - 13:10
Le président Recep Tayyip Erdogan a retiré samedi la Turquie d'un emblématique traité international luttant contre les violences contre les femmes malgré une hausse des agressions, une décision qui a suscité une vague de colère.
Keystone-SDA
20.03.2021, 13:10
ATS
Le retrait de la Turquie de la Convention d'Istanbul est «une nouvelle dévastatrice» et «compromet la protection des femmes» dans ce pays, a déploré la Conseil de l'Europe, une organisation paneuropéenne dont Ankara est membre et sous les auspices de laquelle le gouvernement turc avait signé ce traité en 2011.
L'abandon par la Turquie de la Convention d'Istanbul, premier outil supranational à fixer des normes juridiquement contraignantes dans une trentaine de pays pour prévenir la violence sexiste, a été annoncé par un décret présidentiel publié dans la nuit de vendredi à samedi.
Cette décision, prise alors que les féminicides n'ont cessé d'augmenter depuis une décennie, a suscité la colère des organisations de défense des droits des femmes qui ont appelé à manifester samedi à Istanbul.
M. Erdogan cède avec cette mesure à la pression de groupes conservateurs et islamistes, qui appelaient depuis plusieurs mois à quitter ce texte qui, selon eux, nuisait aux valeurs familiales «traditionnelles» en défendant l'égalité des sexes et «favorisait» la communauté LGBT en appelant à ne pas discriminer en fonction de l'orientation sexuelle.
Le président turc avait pour la première fois évoqué un abandon de ce traité l'an dernier, dans une tentative de rallier son électorat conservateur face à des difficultés économiques croissantes.
Depuis lors, des femmes étaient descendues dans les rues d'Istanbul et d'autres villes à plusieurs reprises, appelant le gouvernement à s'en tenir à la Convention.
Droits «piétinés»
Le retrait du traité samedi a été vivement condamné par des opposants du président turc.
«Annoncer en pleine nuit le retrait de la Convention d'Istanbul, alors que nous apprenons chaque jour que de nouvelles violences sont commises contre des femmes, a de quoi remplir d'amertume», a déclaré le maire d'Istanbul Ekrem Imamoglu, l'un des principaux rivaux de M. Erdogan.
«Cela revient à piétiner la lutte que mènent les femmes depuis des années», a-t-il ajouté.
Une vice-présidente du principal parti d'opposition CHP (social-démocrate), Gökçe Gökçen, a estimé que l'abandon de cette Convention signifiait «laisser les femmes être tuées». «Malgré vous et votre malfaisance, nous allons rester en vie et ressusciter la Convention», a-t-elle écrit sur Twitter.
Face à cette avalanche de critiques, le gouvernement a tenté de réaffirmer son attachement à la lutte contre les violences faites aux femmes.
«Nous allons poursuivre notre lutte contre la violence avec pour principe la 'tolérance zéro'», a ainsi assuré la ministre de la Famille Zehra Zumrut Selcuk, citée par l'agence de presse étatique Anadolu.
300 féminicides en 2020
Les féminicides et les violences domestiques sont un mal endémique en Turquie.
En 2020, 300 femmes ont été tuées par leur conjoint ou ex-conjoint, selon l'association «Nous mettrons fin aux féminicides».
Début mars, le pays a été secoué par la publication d'une vidéo montrant un homme frappant son ex-femme au sol en pleine rue, sous les yeux de leur fillette.
L'agresseur a été arrêté et le président Erdogan a annoncé la création d'une commission parlementaire pour faire un état des lieux de la législation afin de mieux lutter contre les violences.
En dépit de ces déclarations, les associations de défense des droits des femmes accusent le gouvernement de ne pas appliquer les lois avec assez de fermeté, encourageant selon elles le sentiment d'impunité.
Plusieurs associations ont appelé à protester samedi après-midi sur la rive asiatique d'Istanbul pour mener un «combat collectif contre ceux qui ont abandonné la Convention d'Istanbul».
«Renoncez à cette décision, mettez en oeuvre la Convention», a exhorté dans un tweet la secrétaire générale de l'organisation «Nous mettrons fin aux féminicides», Fidan Ataselim.