Hongrie«Je t'aime, moi non plus» entre Facebook et le gouvernement
ATS
27.1.2021 - 08:31
Le premier ministre hongrois Viktor Orban, très présent sur Facebook, craint de subir le même sort que son allié, l'ex-président américain Donald Trump, face aux géants du numérique. Il promet de légiférer d'ici aux élections de l'an prochain.
Le gouvernement «va soumettre une loi au Parlement ce printemps», a annoncé mardi la ministre de la justice Judit Varga, à l'issue d'un «comité extraordinaire» convoqué pour discuter de sanctions contre les plateformes «limitant la liberté d'expression».
Cette offensive, qui fait écho à un projet similaire en Pologne, intervient après que les comptes de l'ancien président américain ont été suspendus par Facebook, Twitter et d'autres réseaux à la suite des émeutes du Capitole.
«Aujourd'hui, n'importe qui peut être débranché des réseaux de manière arbitraire», a dénoncé Mme Varga, «qu'on soit boulanger, coiffeur, retraité, professeur ou qu'on dirige un État».
«Abus systématiques»
Si ce discours est nouveau, le ministère hongrois de la justice, interrogé par l'AFP, dit «analyser la question depuis près d'un an», après avoir reçu de nombreuses preuves de «limitation de messages d'utilisateurs sans aucune notification ou explication».
Judit Varga accuse les réseaux sociaux d'«abus systématiques» et d'interdictions «effectuées sans transparence» à des fins politiques. Selon elle, Facebook veut «réduire la visibilité des opinions chrétiennes, conservatrices et de droite». À l'appui, le ministère cite les travaux de «Project Veritas», un groupe de militants qui prétend avoir infiltré la Silicon Valley pour prouver sa partialité.
Paradoxalement, Viktor Orban utilise régulièrement les réseaux sociaux pour s'adresser directement aux Hongrois et sa page Facebook affiche un million d'abonnés. Le nombre est considérable dans un pays de 9,8 millions d'habitants, dont 5,4 millions ont un compte.
En outre, Mme Varga et le ministre des affaires étrangères Peter Szijjarto donnent souvent la primauté de leurs annonces aux réseaux sociaux.
Conspirations et contre-vérités
Accusé par l'ONG Reporters sans Frontières (RSF) d'avoir drastiquement limité la liberté des médias, Viktor Orban se sert de Facebook pour diffamer l'UE et ses adversaires politiques.
Comme Donald Trump, il y déroule une narrative conspirationniste faite de contre-vérités, selon les rapports de nombreuses organisations internationales, comme l'ONU et l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE). Et les dépenses en publicité de son parti, le Fidesz, y dépassent de loin celles des autres formations hongroises.
Le bannissement numérique de Donald Trump a manifestement effrayé le premier ministre hongrois à un an de législatives, qui s'annoncent disputées, analyse pour l'AFP Agoston Mraz, du groupe de réflexion Nezopont. «Le Fidesz craint que, sans réglementation, un incident ne puisse se produire à l'approche du scrutin».
D'autant que M. Orban n'a pas d'autre tribune numérique. La Hongrie a certes vu apparaître en décembre un réseau social alternatif, fondé par une personnalité ouvertement acquise au gouvernement, à l'image de WeChat en Chine et de VKontakte en Russie.
«Se tirer une balle dans le pied»
Mais ce n'est qu'une pâle copie des mastodontes anglo-saxons. Se présentant comme un havre de liberté de parole doté d'une modération minimale, ce rival à l'esthétisme bleu et blanc évoquant Facebook n'a pas répondu aux sollicitations de l'AFP. Sa création fait écho à des plateformes conservatrices comme Parler et Gab, où ont afflué les internautes se considérant «censurés» par les réseaux conventionnels.
Malgré les menaces, le politologue Patrick Szicherle doute que Budapest aille aussi loin que Varsovie. En Pologne, où le président Andrzej Duda et le premier ministre Mateusz Morawiecki ont aussi une forte présence sur Facebook, le gouvernement prépare ainsi une loi pour empêcher les fermetures unilatérales de comptes.
«Ce serait comme se tirer une balle dans le pied», estime Patrick Szicherle, du groupe de réflexion Political Capital. Ce politologue s'attend plutôt à ce que Viktor Orban opte pour «la possibilité de recours juridiques pour les comptes bannis» ou alors pour une formule «ayant peu d'effets en pratique, mais qui permette au gouvernement de se présenter comme se dressant face aux géants libéraux de la technologie».