Iztapalapa, fief de gaucheDerrière la présidentielle, la bataille de Mexico
ATS
21.5.2024 - 08:23
Dix kilomètres de téléphérique dans l'est de Mexico, par-dessus un labyrinthe de ruelles étroites, colorées et peu sûres, des centres sociaux «Utopia», un marché parmi les plus grands au monde... Bienvenue à Iztapalapa, fief et laboratoire de la gauche au pouvoir au Mexique, qui se bat pour garder le contrôle de la capitale.
21.05.2024, 08:23
ATS
Dans l'est de la mégapole, la plus peuplée des 16 «alcaldias» (mairies) – deux millions d'habitants sur neuf – a la même réputation que le Bronx à New York ou la Seine Saint-Denis en banlieue de Paris: populaire voire pauvre, marginalisée, jeune et dynamique.
Maire d'Iztapalapa, issue des luttes sociales, Clara Brugada vise désormais la mairie centrale de Mexico aux élections du 2 juin, pour prendre le relais de Claudia Sheinbaum, elle-même favorite de la présidentielle.
La victoire à la présidentielle aurait un goût amer pour le Mouvement pour la régénération nationale (Morena, gauche) si le parti au pouvoir perdait la capitale dirigée par Mme Sheinbaum (2018-2023) et par le président sortant Lopez Obrador dans les années 2000. Aux élections partielles de 2021, Morena a reçu un sérieux avertissement en perdant six mairies sur 16.
Profonde mutation
Avec 1,5 millions d'électeurs inscrits, Iztapalapa pèsera lourd dans la bataille. «Le coeur d'Iztapalapa bat pour Morena», assure à l'AFP Antonieta García, 56 ans, en préparant des tacos à l'entrée de la «central de abasto», l'un des plus grands marchés de produits frais au monde avec Rungis au sud de Paris.
«Izta» s'est transformée ces dernières années avec des musées, de nouveaux transports publics et «beaucoup d'aide» comme les allocations qui lui ont permis de subvenir aux besoins de ses quatre enfants, poursuit cette mère célibataire.
En matière de transports publics, le «cablebus» (télécabines) a été inauguré en mai 2021 pour desservir les ruelles aux petites maisons bigarrées, sur le toit desquelles les artistes locaux ont laissé libre cours à leur inspiration.
Utopie
Vu depuis le «cablebus», Iztapalapa et l'ensemble de Mexico étouffe sous un nuage de pollution qui s'abat sur la capitale depuis des jours et des semaines avec la canicule.
De loin en loin, le «cablebus» survole des centres «Utopia», la grande expérience sociale de Clara Brugada. Sports, culture, médecins et dentistes, soutien psychologique, cantine, garderie... Chacun des 12 centres offre une prise en charge totale et quasi gratuite des habitants, de la naissance au troisième âge.
«Je suis heureuse ici», affirme Senaida Flores, retraitée de 67 ans, qui se sent seule chez elle. «Je ne vois pas le temps passer et je me dis: il est déjà cinq heures? Je ne voudrais pas m'en aller».
«Si les habitants ont accès au bien-être, ils s'éloignent de la violence», explique une députée locale, Ana Francis, en faisant visiter l'Utopia Meyehualco.
Ana Francis est membre de l'équipe de campagne de Clara Brugada, qui prétend ouvrir au total une centaine de centres Utopia sur l'ensemble de la ville. «Cette ville est progressiste, cette ville a le coeur à gauche. Elle continue d'être une ville de droits, de libertés, et non de retour en arrière», assure Mme Brugada dans un bref entretien à l'AFP sur ses chances de victoire à Mexico.
Pauvreté et délinquance
Ana Venegas a 30 ans, travaille comme professeure des écoles et vend des glaces sur son temps libre pour arrondir ses fins de mois. Elle a souvent peur de ne pas rentrer «saine et sauve» chez elle, car elle a été «victime de la délinquance». Mais elle reconnaît que «oui, il y a un changement».
Face à la pauvreté (44%), à la délinquance et à des problèmes d'eau persistants, une partie des habitants d'Iztapalapa penche pour la droite.
En nahuatl (langue uto-aztèque), Iztapalapa fait référence à un point d'eau – un paradoxe pour un quartier où près d'un quart de la population souffre de coupures d'eau, d'après les experts.
Electricien de 71 ans, Germán Ramírez se plaint aussi de l'état déplorable des services publics et de l'insécurité, pour justifier son vote en faveur du «changement».
«Les gouvernements antérieurs ne faisaient que des promesses et n'ont jamais rien fait», affirme-t-il lors d'un meeting du candidat de l'opposition Santiago Taboada à la mairie de Mexico.
«Une énorme part du gâteau»
«Je veux une ville où le gouvernement et la société sont plus forts que n'importe quelle organisation criminelle», a lancé Santiago Taboada dimanche lors d'un rassemblement sur Zocalo, une immense place centrale de la capitale.
Pour l'expert du Collège de Mexico, Gustavo Urbina, la ville est devenue «un des champs de bataille les plus importants, non seulement pour son importance électorale» mais parce qu'à Mexico «on se dispute une énorme part de gâteau en matière de ressources économiques».