Réseaux extrémistes informels La face cachée des émeutes anglaises

ATS

6.8.2024 - 07:54

Des réseaux informels en ligne et des influenceurs à la place d'organisations structurées: les émeutes qui secouent le Royaume-Uni découlent de l'évolution à long terme d'une extrême droite britannique, réputée de longue date pour sa violence.

Des troubles éclatent lors d'une manifestation anti-immigration devant le Holiday Inn Express à Rotherham, en Angleterre, dimanche 4 août 2024. (Danny Lawson/PA via AP)
Des troubles éclatent lors d'une manifestation anti-immigration devant le Holiday Inn Express à Rotherham, en Angleterre, dimanche 4 août 2024. (Danny Lawson/PA via AP)
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Keystone-SDA

Des heurts ont eu lieu dans une douzaine des villes depuis mardi dernier, après une attaque au couteau, lors de laquelle trois fillettes ont été tuées. Ce drame a été utilisé par l'extrême droite pour attiser la haine, selon les autorités.

Agé de 17 ans, le suspect, Axel Rudakubana, né au Pays de Galles de parents originaires du Rwanda selon les médias, est accusé de meurtres et tentatives de meurtres. Sur les réseaux sociaux se sont répandues de fausses informations ou spéculations non étayées hostiles aux migrants et aux musulmans en lien avec cette affaire.

Des rassemblements violents ont pris pour cible des hôtels hébergeant des demandeurs d'asile, faisant des dizaines de blessés dans les rangs des forces de l'ordre.

Liens avec le hooliganisme

Les spécialistes de l'extrémisme au Royaume-Uni y voient l'oeuvre d'idéologues d'extrême droite rejoints par des jeunes désoeuvrés, le tout s'inscrivant dans une nouvelle stratégie de plus en plus présente sur Internet, en complément des traditionnelles violences de rue.

«Ce sont plus souvent des réseaux en ligne de personnes qui partagent les mêmes idées qu'une sorte d'organisation formelle», explique à l'AFP Milo Comerford, responsable de recherche à l'Institute for Strategic Dialogue de Londres.

Le Royaume-Uni connaît de longue date des mouvements d'extrême droite actifs et violents. Le Front national britannique, raciste et anti-immigrés, associé avec la culture skinhead, a émergé dans les années 1960 et 1970. Le British National Party, qui en est issu, a gagné en importance au début des années 2000.

Les années 2010 ont connu l'émergence de groupes nouveaux, plus diffus, liés au milieu du hooliganisme, avec des mouvements comme l'English Defence League (EDL), anti-islam et plus récemment le groupe néonazi Patriotic Alternative.

Populations défavorisées

Ces dernières années, de tels groupes se tournent de plus en plus vers les populations défavorisées pour encourager et amplifier, via les réseaux sociaux, les inquiétudes de la droite traditionnelle concernant le niveau d'immigration, régulière et irrégulière.

Des hôtels hébergeant des migrants ont été pris pour cible par des protestations parfois violentes ces derniers mois, avant même les émeutes actuelles. Dans un article de 2021 centré sur Patriotic Alternative, l'universitaire William Allchorn notait ainsi que l'extrême droite britannique mettait ainsi l'accent sur une forme d'"autodéfense» anti-migrants.

Et nombre d'experts soulignent que si l'EDL a cessé formellement d'exister, elle dispose d'un réseau tissé il y a plus d'une décennie et qui reste actif.

Soulignant le rôle de lien joué par les technologies, le groupe antiraciste Hope not Hate a relevé lundi que la plupart des manifestations récentes étaient organisées «souvent par des gens vivant localement, branchés sur des réseaux d'extrême droite décentralisés sur Internet».

«Figures de proue»

Les violences en Angleterre durant le week-end sont entrées dans ce moule de rassemblements spontanés qui ont pris la police par surprise. «Ces mouvements manquent de chef formel, mais disposent plutôt de figures de proue, souvent issus d'une sélection d'influenceurs d'extrême droite sur les réseaux sociaux, en particulier Tommy Robinson», soulignait Hope not Hate.

Robinson, Stephen Yaxley-Lennon de son vrai nom, est un agitateur antimusulman au casier judiciaire fourni qui a contribué à fonder l'EDL en 2009. Ces derniers mois, il a organisé de grandes manifestations, mais se trouve actuellement à l'étranger, d'où il a abondamment alimenté les réseaux sociaux de messages relatifs aux heurts.

Autrefois supprimé, son compte X (ex-Twitter) a été rétabli par le patron de la plateforme Elon Musk l'année dernière. Le milliardaire a lui-même été accusé d'attiser les tensions. Dimanche, il a écrit «la guerre civile est inévitable» en réponse à un usager imputant les émeutes aux «effets des migrations de masse et des frontières ouvertes».

Selon Milo Comerford, des plateformes comme X ont été utilisées pour «catalyser une quantité considérable de haine en ligne dirigée vers les populations musulmanes et migrantes basée sur de fausses informations».

Il estime que la «vitesse de la mobilisation» et le côté informel des réseaux d'extrême droite sont «relativement sans précédent». «Aucun contrôle des faits ou aucune rectification ne risquait de pouvoir faire baisser la température de ces manifestations».