Séducteur ou arrogant, compétent ou distant: après ses cinq ans à l'Elysée et une brève campagne en pointillé, Emmanuel Macron, qualifié pour le second tour de la présidentielle, continue de diviser les Français.
10.04.2022, 21:28
ATS
Les électeurs, qui l'ont porté au pouvoir en 2017 sans vraiment le connaître, ont découvert peu à peu la personnalité singulière de celui qui se veut hors des partis, hors des codes.
Propulsé au sommet de l'Etat à 39 ans – un record de jeunesse en France – avec 66,1% des suffrages exprimés, il ne bénéficiait pourtant que d'une base fragile, puisque ses 20,7 millions de voix provenaient en partie d'un vote de rejet de Marine Le Pen, sur fond d'abstention record.
Président vertical, tour à tour chaleureux ou cassant, cet énarque, qui a été haut fonctionnaire, banquier d'affaires chez Rothschild et ministre de l'Economie de François Hollande, qu'il a supplanté, se révèle moins rationnel que prévu.
Maladresses à répétition
Les Français le voient enclin à des entêtements surprenants, comme lorsqu'il refuse de licencier son homme de confiance Alexandre Benalla, auteur d'un coup de poing violent contre des manifestants. Capable aussi d'audacieux coups de poker, comme lorsqu'il lance ses grands débats marathon après les émeutes des «Gilets jaunes», où cet hypermnésique jongle des heures durant avec les questions les plus techniques.
Il refuse aussi un nouveau confinement réclamé par experts et ministres en janvier 2021. Et impose en juillet 2021, le premier en Europe, un pass sanitaire proche d'une obligation vaccinale.
Les Français le voient aussi s'enferrer dans des maladresses à répétition, ces petites phrases assassines sur les chômeurs qui n'auraient qu'à «traverser la rue» pour trouver un emploi ou les aides sociales qui coûtent «un pognon de dingue».
Pendant la campagne, pareil à lui-même, il a taclé ceux parmi les enseignants qui font «le minimum syndical». Tout aussi cash, il a déclaré que son adversaire Marine Le Pen «ment aux gens».
Ses partisans s'extasient devant son intelligence et sa capacité de travail. Ses ennemis le jugent arrogant et donneur de leçons, au point de susciter une forme de haine. Comme chez ces «Gilets jaunes» qui le pendaient en effigie ou hurlaient des menaces de mort contre lui au Puy-en-Velay en 2018.
Il reste en décalage avec les Français, par son parcours de premier de la classe, son vocabulaire châtié. Même sa vie privée, ce couple fusionnel qu'il forme avec son épouse Brigitte de 24 ans son aînée, continue d'étonner et déchaîne les médisances de ses ennemis.
Brouiller les cartes
Les Français ont toujours du mal à cerner tant sa personnalité que son «en même temps» politique, mélange d'ingrédients libéraux, comme la suppression de l'ISF dès 2017 et de flots d'aides sociales déboursées après les «Gilets jaunes» ou l'épidémie de Covid. Lui, qui se veut pragmatique, revendique justement une action équilibrée.
Idem pour son programme de campagne, perçu comme clairement à droite avec la retraite à 65 ans, le RSA conditionné à des heures d'activité et le paiement des professeurs au mérite. L'obligation pour les entreprises qui versent des dividendes de donner une prime aux salariés reflète son credo d'un capitalisme social à l'allemande, plutôt que la lutte des classes. Mais il promet aussi des mesures sociales, comme le versement automatique des aides.
En prônant le dépassement du clivage gauche-droite et en brouillant les cartes, il a pris le risque d'un effondrement des partis traditionnels et d'une montée des opposants extrêmes. Pour l'ancienne figure de la gauche Jean-Pierre Chevènement, l'un de ses proches, «le macronisme n'existe pas». «Il y a Emmanuel Macron, qui est un être libre, qui pense par lui-même et qui décide.»
«Embarquer» les gens
En cinq ans, le jeune homme a changé, vieilli, marqué par les crises. Ses traits creusés illustrent son inquiétude face aux intentions de Vladimir Poutine, avec qui il tente de glaçantes négociations.
Il garde pourtant intactes ses ambitions de réformes ainsi que son credo de la réussite individuelle par le travail. Mais promet d'avancer moins brusquement, sans forcément convaincre. «J'étais sabre au clair», a-t-il admis l'an dernier. «On a pu croire que je voulais réformer contre les gens. Il faut les embarquer.»
Son entourage aussi a changé. Les «Mormons», cette bande de trentenaires urbains et branchés qui formaient sa garde rapprochée en 2017, ont été éloignés de l'Elysée. Seuls sont restés ses deux piliers: son épouse Brigitte, très influente, et son bras droit, l'indispensable et secret secrétaire général de l'Elysée Alexis Kohler, partisan des réformes les plus libérales.
En disciple de Machiavel, Emmanuel Macron laisse s'affronter les divers clans qui combattent pour son attention et a pioché dans leurs propositions pour élaborer son programme. Mais il pense toujours qu'une élection présidentielle est une rencontre entre un homme et les Français. Et qu'il gagnera seul.