FranceLa peur de l'immigration, symptôme d'angoisses multiples
ATS
19.6.2024 - 10:37
En France l'immigration, l'une des préoccupations majeures des électeurs, irrigue la campagne des législatives où l'extrême droite part en tête: si elle n'est pas nouvelle, cette «peur de l'étranger» est amplifiée par un contexte global d'«anxiété» et d'«impuissance» politique, selon des chercheurs.
Keystone-SDA
19.06.2024, 10:37
ATS
Dans une enquête Ipsos réalisée les 6 et 7 juin sur les déterminants du vote aux élections européennes, largement remportées par le parti d'extrême droite Rassemblement national (RN), l'immigration constitue «le» sujet majeur pour 23% des Français comptant voter, devant le pouvoir d'achat (18%). Ils sont 43% à en faire l'un des trois motifs principaux de leur vote.
Le RN en a historiquement fait l'un de ses thèmes de prédilection. Son président Jordan Bardella, Premier ministre pressenti en cas de majorité absolue à l'Assemblée nationale, fustige régulièrement une «immigration massive incontrôlée» et souhaite notamment supprimer le «droit du sol».
La France a délivré un nombre record de premiers titres de séjour l'an dernier, à 323'260, en hausse de 1,4% par rapport à 2022, tandis que les expulsions ont fortement augmenté (+10%, à plus de 17'000), selon les données du ministère de l'Intérieur.
Climat d'anxiété
Les discours anti-immigration ont d'autant plus d'échos, pour l'anthropologue Michel Agier, qu'ils s'inscrivent, depuis une vingtaine d'années, dans un climat général d'anxiété, alimenté par «le sentiment que l'on vit en permanence en insécurité»: catastrophes naturelles, différentes formes de terrorisme ou périssement des Etats protecteurs, énumère le chercheur.
«Cette peur conduit à produire un bouc émissaire, mais ce n'est pas nouveau», observe le directeur d'Études à l'École des hautes études en sciences sociales (EHESS).
Ce qui est contemporain, en revanche, c'est selon lui «l'héritage post-colonial qui produit une sorte de racisme qui est derrière cette obsession de l'extrême droite pour les questions d'immigration», souligne l'anthropologue.
«Quand on dit qu'il y a trop de migrants, on ne parle pas des Américains, Anglais, Hollandais, Espagnols, Ukrainiens... On ne parle pas des blancs, alors que ces derniers viennent en très grand nombre (...) mais ne sont pas accueillis de la même manière», relève ainsi le spécialiste des relations entre la mondialisation humaine et l'exil.
Selon l'institut national de la statistique (Insee), en 2022, sept millions d'immigrés vivaient en France, soit 10,3% de la population totale et 35% d'entre eux ont acquis la nationalité française (2,5 millions).
Moins de la moitié, 48,2% des immigrés sont nés en Afrique et 32,3% sont nés en Europe. Les pays de naissance les plus fréquents des immigrés sont l'Algérie (12,5%), le Maroc (11,9%), le Portugal (8,2%), la Tunisie (4,7%), l'Italie (4,0%), constate l'Insee.
Par ailleurs, selon M. Agier, la perte des repères communautaires avec l'éclatement des familles et le développement de l'individualisme conduit au repli sur soi d'une population. «Depuis les années 1990, à peu près partout dans le monde, les États se désengagent beaucoup et donnent l'impression aux citoyens d'être moins protégés par eux», observe-t-il.
«Adversaires faibles»
Un constat partagé par Swanie Potot, chercheuse au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), qui met en avant un sentiment de fragilité socio-économique: «L'étranger incarne la mondialisation associée aux délocalisations, aux baisses des salaires et à la mise en concurrence des travailleurs à l'échelle internationale».
«Impuissante face à cette mondialisation, la sphère politique, bien au-delà de l'extrême droite, se saisit des questions d'immigration car elle montre qu'elle peut agir avec des mesures concrètes, rassurant ainsi sur sa capacité à décider», estime-t-elle.
«Les migrants sont des adversaires faibles, des sans-voix politiques (...) contrairement à la finance», développe la sociologue spécialiste des questions de migration.
Depuis 1980, 29 lois sur l'immigration ont ainsi été enregistrées en France, soit une tous les 17 mois, rappelle le musée de l'Histoire de l'immigration.
Mais stigmatiser une population et la vouer à la clandestinité en durcissant les mesures pour son installation en France, en pensant la dissuader de venir, produit l'effet inverse et freine son intégration, soulignent régulièrement des associations d'aide aux migrants.
«Ces personnes ne vont pas avoir le droit de travailler légalement, de se loger, de se soigner et cela développe une économie informelle qui favorise la délinquance», observe Swanie Potot.
«Il suffirait de cesser d'alimenter ces peurs et de reporter le politique sur d'autres sujets pour qu'elle disparaisse d'elle-même. Il n'y a rien d'immuable dans le rejet de l'étranger», estime-t-elle.