Ticket pour l'espoirEn Irak, on propose des «forfaits tout compris» pour le Bélarus
ATS
17.11.2021 - 09:13
Ils ont payé des milliers de dollars pour parcourir des centaines de kilomètres dans l'espoir d'un «avenir» en Europe: le périple aérien des migrants irakiens jusqu'à la frontière polono-bélarusse commence souvent chez des tour-opérateurs. Ces derniers vendent des «forfaits tout compris».
Keystone-SDA
17.11.2021, 09:13
ATS
Bakr a 28 ans et c'est une exception parmi les milliers de migrants campant côté bélarusse dans des conditions effroyables. Contrairement à la majorité de ses compagnons de galère, il n'est pas kurde d'Irak mais arabe. Il vient d'Al-Anbar, dans l'ouest du pays.
«Nous sommes exténués et malades», dit par téléphone le jeune homme qui souhaite rallier le Royaume-Uni pour se créer un «avenir». «Nous sommes arrivés là avec un visa de tourisme, il y a une semaine. Comme il n'y a plus de vols entre Bagdad et Minsk, nous sommes passés par Dubaï, puis Minsk», raconte-t-il. «Certains ont payé 3000 dollars, d'autres jusqu'à 25 ou 30'000 dollars, à une agence de voyages à Bagdad».
Consulats fermés
À ses côtés, Sangar, Kurde d'Irak, est à tel point fatigué qu'il se dit prêt «à aller dans n'importe quel pays qui acceptera» ses trois enfants.
Avant qu'ils ne soient fermés à la demande du gouvernement irakien il y a près de deux semaines, les consulats bélarusses d'Erbil, au Kurdistan d'Irak, et de Bagdad délivraient des visas de tourisme qui permettaient de se rendre à Minsk puis à la frontière avec la Pologne, pays membre de l'Union européenne.
Les vols directs entre Minsk et Bagdad d'Iraqi Airways ont été suspendus sur ordre du gouvernement de Bagdad au mois d'août dernier. À l'époque, des centaines de migrants, Irakiens pour la plupart, s'étaient massés à la frontière lituano-bélarusse dans l'espoir de passer en Lituanie. Depuis, le centre de gravité de la crise s'est déplacé à la frontière avec la Pologne.
Varsovie affirme qu'entre 3000 et 4000 migrants, dont de nombreux Kurdes d'Irak, campent actuellement le long de la frontière, dans cette crise qui oppose les pays occidentaux, d'un côté, au Bélarus et son alliée la Russie, de l'autre.
«Par la Russie»
À Bagdad, dans une agence de voyages dont le patron ne souhaite pas voir le nom publié, un tour-opérateur qui veut conserver l'anonymat explique à l'AFP: «Maintenant, tout se fait par la Russie».
«Le visa touristique pour la Russie coûte 700 dollars. Le passager a besoin d'une invitation et d'un garant. Cela prend environ dix jours pour l'obtenir. Le vol coûte 500 dollars», dit-il. «Une fois en Russie, des passeurs les emmènent clandestinement par voie terrestre jusqu'à la frontière avec le Bélarus et cela coûte 500 dollars», soit près de 2000 dollars, une somme importante en Irak, où le salaire moyen tourne autour de 300 dollars.
Mais les voies aériennes se ferment les unes après les autres. Après la Turquie qui a interdit les Irakiens, les Yéménites et les Syriens sur les liaisons avec le Bélarus la semaine dernière, la compagnie bélarusse Belavia a prononcé une mesure similaire pour les vols depuis Dubaï.
À en croire Mera Jassem Bakr, chercheur irakien spécialisé dans les flux de migration des Kurdes d'Irak, Dubaï était devenu ces derniers temps l'un des «deux points de départ des Kurdes d'Irak vers Minsk». L'autre est Doha, avec Qatar Airways. Les migrants «n'ont pas besoin de visa du Qatar, puisqu'ils ne sont qu'en transit à Doha».
Entre 3500 et 4000 dollars
Et Ankara «est devenu la plateforme» qui permet d'obtenir des visas. Souvent, explique le chercheur, les Kurdes d'Irak fournissent leur passeport aux agents de voyage qui envoient les documents à leurs correspondants dans la capitale turque, où les visas du Bélarus leur sont délivrés.
«Ce sont des forfaits tout compris», résume M. Bakr. «Il y a deux mois, ils coûtaient 2500 dollars. Aujourd'hui, on est entre 3500 et 4000 dollars», détaille-t-il.
Face à la crise, l'Irak a annoncé la mise en place d'un premier vol de rapatriement de migrants irakiens jeudi du Bélarus «sur la base du volontariat». 571 migrants ont dit vouloir rentrer, selon le ministère des affaires étrangères irakien.
Dana (prénom d'emprunt) voudrait, elle aussi, rentrer chez elle, en Syrie, peu importe «les sommes considérables» qu'elle a investies. Elle est retournée à Minsk après vingt jours à la frontière avec la Pologne, «sans eau, sans nourriture» et avec les «coups» des soldats bélarusses. «Malgré la guerre et les problèmes, je me sens plus en sécurité en Syrie qu'ici», dit-elle.