Lors des élections législatives du 25 septembre dernier, les Italiens ont fait le pari de confier les rênes de leur pays à Giorgia Meloni.
Qui est Giorgia Meloni, la blonde qui fait trembler l’UE ?
Lors des élections législatives du 25 septembre dernier, les Italiens ont fait le pari de confier les rênes de leur pays à Giorgia Meloni. Mais qui est cette Romaine de 45 ans qui se dresse face à l’UE ?
19.10.2022
Cheffe de file du parti Fratelli d’Italia, la Romaine de 45 ans doit désormais s’atteler à former un gouvernement avec ses alliés du parti de Silvio Berlusconi Forza Italia et la Ligue de Matteo Salvini.
L’arrivée au pouvoir d’une formation politique d’extrême-droite plonge la Botte et l’Union européenne (UE) dans l’inconnu. C’est en effet la première fois de l’histoire qu’un pays fondateur de l’UE sera dirigé par un parti postfasciste. Suffisant pour faire vaciller Bruxelles ? Professeur émérite en Études européennes, Gilbert Casasus décrypte pour blue News l’ascension fulgurante de Fratelli d’Italia et les conséquences que cela pourrait avoir en Italie et en Europe.
Comment expliquez-vous la victoire de Fratelli d’Italia, une formation politique qui n’avait récolté que 4,5% des voix lors des élections législatives de 2018 ?
Gilbert Casasus : «Les Italiens ont plébiscité un parti qui n’a encore jamais gouverné. Ils ont choisi de voter pour quelque chose qu’ils n’ont jamais eu. Ce choix n’est pas un vote de pure adhésion, mais plutôt une envie d’essayer autre chose qui n’a pas été encore expérimenté. Cependant, ce vote est aussi au diapason d’une société qui n’est plus sûre d’elle-même et qui a largement pris congé de ce qui fait la force de l’Italie, à savoir sa culture.
Après la disparition de la Démocratie chrétienne et du Parti communiste dans les années 1990, deux partis extrêmement dominants depuis 1945, l’Italie a perdu ses repères autant politiques que culturels. Giorgia Meloni a ainsi habilement profité de cet espace politique laissé vacant comme l’avait fait un certain Silvio Berlusconi lorsqu’il avait été élu pour la première fois président du Conseil des ministres en 1994. Je tiens tout de même à préciser qu’il ne faut pas voir une continuité entre la victoire de Berlusconi et le succès de Meloni. A l’époque, le Cavaliere s’était allié avec l’extrême-droite mais la droite était en position de force. Aujourd’hui, les pôles se sont inversés.»
Comment Giorgia Meloni a-t-elle fait pour dédiaboliser l’image du parti ?
«Giorgia Meloni n’a pas eu besoin de dédiaboliser Fratelli d’Italia parce que les autres partis politiques se sont privés eux-mêmes de leurs repères idéologiques et culturels. Dans ce sens, il est important de souligner que le travail de mémoire italien face au fascisme de Mussolini, en comparaison à celui exercé en France et notamment en Allemagne, demeure largement insuffisant.
De ce fait, il y a toujours une sorte de référence à des objets du Duce, comme des bâtiments construits durant l’ère mussolinienne par exemple. Ces mentions «passent comme une lettre à la poste» et il faut également comprendre que Mussolini ne suscite pas le même rejet viscéral que celui que l’on serait en droit d’attendre. Ainsi, Giorgia Meloni a profité de cette négligence intellectuelle vis-à-vis du fascisme.»
En voulant détricoter les traités européens, Giorgia Meloni ne joue-t-elle pas avec le feu sachant que l’Italie a urgemment besoin de l’argent du plan de relance de Bruxelles ?
«Tout d’abord, il faut savoir que beaucoup d’Italiens pensent que l’Europe constituera un rempart contre ce gouvernement. A la veille des élections, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a prévenu l’Italie qu’elle devait respecter les traités européens si elle entendait toujours bénéficier du plan de relance. Face à cette mise en garde, Giorgia Meloni s’est montrée beaucoup plus astucieuse que ne le fut Matteo Salvini.
Contrairement à ce dernier, elle a passé de la pommade sur l’UE. Dans ce sens, elle veut se montrer comme une très bonne élève européenne, mais elle le fait en toute hypocrisie. En réalité, elle cherche à obtenir l’argent du plan de relance avant de mener la politique qu’elle veut. Par conséquent, l’UE ne doit pas croire, par naïveté politique, que le versement de cet argent va amadouer le gouvernement de Meloni.»
«Le cas italien pourrait se transformer en une épreuve de force pour l’avenir de l’UE»
Gilbert Casasus
Professeur émérite en Etudes européennes
A l’inverse, quels sont les risques pour l’UE de voir arriver l’extrême-droite au pouvoir en Italie ?
«Aujourd’hui, l’UE est confrontée à l’émergence de nouvelles fissures qui concernent notamment le moteur franco-allemand. Giorgia Meloni pourrait en profiter en façonnant à l’intérieur de l’UE un noyau dur de l’illibéralisme. Cela est assez grave dans la mesure où l’on voit que les partis proches de Meloni ont le vent en poupe. Ce langage nationaliste et souverainiste plait, car l’UE continue de financer les pays où ces formations politiques sont dominantes. Si l’UE ne change pas sa position docile vis-à-vis de ces nations, il y a un danger pour les fondements de l’UE. Giorgia Meloni en est parfaitement consciente et assez maligne pour instrumentaliser cette naïveté européenne. Le cas italien pourrait devenir un cas d’espèce voire se transformer en une épreuve de force pour l’avenir de l’UE.»
Avec Giorgia Meloni en tant que cheffe du gouvernement, l’Italie va-t-elle se rapprocher de la Russie de Vladimir Poutine ?
«Contrairement à Matteo Salvini, qui soutient ardemment Vladimir Poutine, Giorgia Meloni a changé de position vis-à-vis de la Russie en l’espace d’un an. Est-ce que ce virage à 180° est stratégique ou politique ? Je ne connais pas la réponse à cette question. En revanche, je pense que si la guerre en Ukraine se solde par un échec de la Russie, Meloni se félicitera d’avoir changé de posture. Dans le cas contraire, elle dira «j’ai joué la carte de la solidarité européenne mais je savais bien que Poutine avait raison.» Elle n’aura aucun remord à jouer sur les deux tableaux.»
Les autres formations politiques italiennes semblent désemparées face à la déferlante de l’extrême-droite. Quels seraient leurs remèdes pour relever la tête ?
«Il faut noter que Forza Italia (8% des voix) et la Ligue (9%) n’ont pas réalisé un bon score. Fratelli d’Italia (26%) exerce donc une nette domination sur ses deux alliés. De son côté, le Mouvement 5 étoiles (16%) de Giuseppe Conte limite la casse en tenant un discours de gauche radicale malgré qu’il était pourtant allié à l’extrême-droite en 2018. En dépit de sa victoire, il est important de remarquer aussi qu’il n’y a pas eu un raz-de-marée de la droite lors de ces élections législatives et que le rapport de force entre la gauche et la droite n’a pas beaucoup évolué au fil des scrutins.
En revanche, il y a une différence dans la mesure où le centre, le centre gauche et la gauche n’ont pas réussi à nouer une alliance face à la droite et à l’extrême-droite. Le succès de Meloni s’explique donc par l’incapacité de l’opposition de ne pas avoir su offrir une alternative stratégique et politique aux Italiens. Afin de retrouver leur lustre d’antan, la gauche et, en particulier, le Parti démocrate doivent retrouver une crédibilité électorale. Pour cela, ils se trouvent dans l’obligation d’opérer un travail de fond idéologique qui leur permettra de se resituer sur l’échiquier politique. Par exemple, en réaffirmant leur ancrage européen. Cela ne se fera pas du jour au lendemain.
Ils devront aussi retrouver leur électorat populaire. Ainsi, la gauche serait bien inspirée de mettre en avant ses références culturelles qui ont fait sa force tout au long de son histoire. Pour conclure, je dirais que la défaite de la gauche italienne est aussi celle d’une grande tradition culturelle italienne. Et cela profite toujours à l’extrême-droite.»