Birmanie Jade, banques, tourisme: les milliards de l'armée

ATS

12.2.2021 - 09:05

La junte militaire, à la tête de la Birmanie depuis son coup d'Etat, s'est assuré le contrôle des ressources naturelles et de pans entiers de l'économie du pays. Cette fortune est à nouveau la cible de Washington après le putsch des généraux.

Les gardes d'honneur du Myanmar défilent pour marquer le 74e anniversaire de la Journée de l'Union du Myanmar à Sittwe, État de Rakhine le 12 février (image d'illustration).
Les gardes d'honneur du Myanmar défilent pour marquer le 74e anniversaire de la Journée de l'Union du Myanmar à Sittwe, État de Rakhine le 12 février (image d'illustration).
KEYSTONE

Les États-Unis d'Amérique ont annoncé mercredi de nouvelles sanctions. Mais ces dernières vont-elles viser uniquement les auteurs du putsch du 1er février ou aussi les gigantesques conglomérats contrôlés par les militaires?

En 2020, la secrète Myanmar Economic Holdings Limited (MEHL) était tombée sous le feu des projecteurs après la mort de près de 300 Birmans dans l'effondrement d'une de ses mines de jade. MEHL est un des deux conglomérats détenus par les militaires, avec la Myanmar Economic Corporation (MEC).

Ces groupes opaques sont à la tête d'intérêts colossaux dans des activités aussi diverses que l'exploitation minière, la bière, le tabac, les transports, l'industrie textile, le tourisme ou la banque. À travers eux, plus de 130 entreprises sont chapeautées entièrement ou partiellement par les généraux, selon un rapport de l'ONG Justice for Myanmar (JFM), publié la semaine dernière.

«Barons de la drogue et militaires»

MEHL détient aussi le plus grand nombre de licences de mines de rubis et de jade en Birmanie, premier producteur mondial. À lui seul, le jade représente un commerce de plusieurs milliards de dollars par an. Mais une très faible partie finit dans les caisses de l'Etat, la plupart des pierres de qualité étant passées en contrebande en Chine.

Depuis la fin de la junte en 2011, le secteur est resté «secrètement contrôlé par un réseau de hauts gradés militaires et de barons de la drogue», d'après l'ONG Global Witness.

MEHL a des partenariats avec de nombreuses sociétés en Chine, au Japon, en Corée du Sud ou à Singapour. Son «conseil de directeurs» est composé des plus hauts responsables militaires avec à sa tête le chef de l'armée, Min Aung Hlaing, auteur du putsch. Il serait aujourd'hui l'un des principaux actionnaires.

Milliards de dividendes

Rien qu'en 2011, le général a perçu 250'000 dollars de dividendes de MEHL, selon un rapport d'Amnesty International de septembre 2020. De 1990 à 2011, l'ensemble des actionnaires, tous militaires en activité ou retraités, ont touché quelque 18 milliards.

Depuis son indépendance en 1948, la Birmanie a vécu 49 ans sous le joug de l'armée. «Ils ont eu le temps de faire main basse sur une grande partie des richesses», avance Françoise Nicolas, directrice Asie de l'institut français des relations internationales (IFRI).

Et la brève parenthèse démocratique de 10 ans qui vient de s'achever n'a pas changé la donne, l'armée conservant des prérogatives importantes grâce à une constitution sur mesure.

Les généraux craignaient que le vent ne tourne avec le maintien au pouvoir d'Aung San Suu Kyi après les législatives de novembre. «Cela risquait de mettre en danger une partie de leurs richesses et a très probablement participé à la décision du putsch», estime Françoise Nicolas.

Reprise en main totale de l'armée

Désormais, l'armée a repris totalement la main sur des entreprises d'Etat, notamment dans les secteurs du pétrole et du gaz. Elle contrôle la Myanmar Oil and Gas Enterprise (MOGE), qui a des partenariats avec les groupes français Total et américain Chevron, un important bas de laine dans un pays qui touche près d'un milliard de dollars par an de la vente de gaz naturel.

Pour l'instant, les mesures de rétorsion, imposées à la suite des exactions de l'armée en 2017 contre la minorité musulmane rohingya, ne visaient que certains militaires, comme Min Aung Hlaing. Washington a annoncé de nouvelles mesures coercitives et restreindre l'accès des généraux à un milliard de dollars de fonds aux Etats-Unis.

Il faut aussi des sanctions «contre leurs conglomérats», estime Debbie Stothard de la fédération internationale pour les droits humains (FIDH). Ces dernières avaient été levées pendant la fragile démocratisation.

Singapour

L'armée «a dirigé pendant de nombreuses années le pays sous des sanctions paralysantes et est prête à le faire à nouveau», relève toutefois Richard Horsey, analyste indépendant à Rangoun. «N'infligez pas plus de tort au peuple birman pour les péchés de ses dirigeants».

Des observateurs exhortent aussi les entreprises internationales à rompre tout partenariat avec la Birmanie. Pour l'instant, le brasseur japonais Kirin et la compagnie pétrolière Puma, qui siège à Singapour, sont les seuls groupes étrangers à avoir annoncé mettre fin à leurs opérations.

Total, qui exploite notamment le gigantesque champ gazier offshore Yadana et a versé 257 millions de dollars aux autorités birmanes en 2019, a simplement indiqué évaluer «les impacts» du coup d'Etat.

Les regards se tournent aussi vers Singapour, premier investisseur étranger en Birmanie. «Les généraux y ont beaucoup d'investissements personnels et de comptes en banque depuis le milieu des années 2000», relève Debbie Stothard. La cité-Etat «a vraiment un levier pour agir», en gelant leurs avoirs.

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