Grosses faillesL'armée russe est malade de sa gestion des hommes
ATS
18.9.2022 - 09:52
La guerre se décide dans des bureaux, mais se fait sur le terrain. Les failles de l'armée russe depuis le début de l'attaque en Ukraine révèlent à cet égard les insuffisances criantes de sa gestion des hommes.
Keystone-SDA
18.09.2022, 09:52
ATS
Dès les premiers jours de l'invasion russe, le 24 février, est apparu que les soldats envoyés au front ne connaissaient pas leurs objectifs. Certaines unités pensaient même partir en manoeuvre.
«L'armée russe est l'armée du mensonge», déclarait à l'AFP en mai le chef d'état-major des armées françaises, le général Thierry Burkhard. «Des gens ont menti en disant que l'armée ukrainienne ne se battrait pas, que les forces russes étaient prêtes à faire la guerre, que les chefs savaient commander». Six mois plus tard, les analystes occidentaux décrivent encore une armée gangrénée par le mensonge et la corruption.
«Les officiers supérieurs ne rêvent que de médailles et de soigner leur carrière. Mais les soldats ne veulent que survivre», assure à l'AFP Alexandre Grinberg, analyste de l'institut pour la sécurité et la stratégie de Jérusalem (JISS).
Désertions et refus d'ordre
Au sommet de la hiérarchie, le président russe Vladimir «Poutine exige des résultats irréalisables. Et personne ne peut lui dire la vérité, même en privé», ajoute cet ex-membre du renseignement militaire israélien. «Est-ce possible qu'un officier courageux ose penser hors cadre? Oui, mais il restera une exception qui ne changera pas grand-chose sur le terrain», sinon «à limiter les dégâts et sauver des vies».
Face à un conflit hautement destructeur en matériels et en hommes, l'armée russe, dont les pertes précises restent inconnues, a été rapidement confrontée à des problèmes de gestion des hommes: désertions, refus d'obéir, moral en berne.
Plusieurs généraux et un grand nombre d'officiers sont par ailleurs tombés au combat, paralysant plus encore une chaîne de commandement déjà décrite comme peu réactive. Or, leur remplacement est d'autant plus compliqué que les différents échelons des armées sont négligemment formés.
«Rapport de forces»
«Il y a un problème de formation des cadres, en particulier l'absence de corps de sous-officiers dans l'armée russe», estime un haut responsable militaire français, qui relève que les sous-officiers sont prélevés parmi les soldats les plus anciens.
Or, «un sous-officier, c'est un expert en son domaine», assure-t-il. Et «quand la seule relation avec ses subordonnés, c'est le rapport de forces, quand c'est seulement le plus ancien et le plus fort qui devient sous-officier», il est compliqué de «monter à l'assaut».
Forte de son image flatteuse héritée des heures de gloire de l'armée rouge soviétique, parfois regardée jusque dans les états-majors occidentaux par le prisme de la bataille de Stalingrad en 1942-43, l'armée russe apparaît en réalité, certes forte par le nombre, mais faible par sa qualité. Et ses lacunes s'accroissent au fur et à mesure que le conflit dure et que ses pertes s'accumulent.
«Une armée est une somme de compétences et capacités. Faute d'une infrastructure solide de recrutement/apprentissage/innovation, la somme russe a diminué constamment», constate l'ex-colonel et historien de la guerre Michel Goya. «La force de manoeuvre russe s'est affaiblie, mal remplacée par des unités moins nombreuses et de moindre qualité».
«Totalement sinistre»
Pire peut-être encore, l'armée russe est minée par un mensonge institutionnalisé. L'historien et auteur indépendant Chris Owen a publié sur Twitter des propos de soldats russes, diffusés pour certains à des fins de propagande par les Ukrainiens, mais pour autant révélateurs.
Ils font état de manoeuvres réduites pour détourner des budgets, d'évaluations faussées de l'état d'une unité de combat, de rapports objectivement faux sur les résultats d'une opération.
«La planification s'appuie sur les rapports. Et les rapports sont différents de la réalité», résume Chris Owen, qui assure que le caractère mensonger des documents circulant dans l'armée a été documenté «dans des unités russes de tous les fronts et de tous les métiers, des parachutistes à l'infanterie mécanisée».
Depuis les premiers revers subis au printemps par les Russes se pose l'hypothèse d'une mobilisation générale. Elle semble peu probable, car susceptible de retourner l'opinion russe. Elle obligerait aussi le chef du Kremlin à appeler «guerre» ce qu'il désigne comme une «opération spéciale».
Moscou fait donc appel à des volontaires et des mercenaires, en particulier ceux de la sulfureuse société privée Wagner. Dans une vidéo virale sur les réseaux sociaux, un homme présenté comme étant le milliardaire russe Evgueni Prigojine, proche de M. Poutine et financier présumé de Wagner, est filmé dans la cour d'une prison en train de proposer un contrat aux détenus.
L'AFP n'a pu formellement l'identifier, mais le propos est limpide. «Si vous faites six mois [pour Wagner, ndlr], vous êtes libre», leur dit-il. «Mais si vous arrivez en Ukraine et décidez que ce n'est pas pour vous, nous vous exécuterons».
«Non seulement c'est totalement sinistre», commente Phillips O'Brien, professeur d'études stratégiques à l'université écossaise de Saint Andrews, mais cela témoigne aussi de la «crise massive» du recrutement des soldats en Russie.