Élections L'Equateur traumatisé se choisit un nouveau président

ATS

18.8.2023 - 07:47

Les électeurs équatoriens votent dimanche pour une élection présidentielle anticipée, bouleversée par l'assassinat de l'un des principaux candidats. En toile de fond, on trouve une vague de violences sans précédent liée au narcotrafic en plein expansion.

Des partisans assistent à un rassemblement en faveur de Christian Zurita, candidat remplaçant Fernando Villavicencio assassiné, à Quito, en Équateur, le 17 août 2023. L'Équateur tiendra ses élections présidentielles et législatives extraordinaires le 20 août, plongé dans une crise sécuritaire profonde et complexe dont l'un des épisodes les plus tragiques a été le récent assassinat du candidat présidentiel Fernando Villavicencio. 
Des partisans assistent à un rassemblement en faveur de Christian Zurita, candidat remplaçant Fernando Villavicencio assassiné, à Quito, en Équateur, le 17 août 2023. L'Équateur tiendra ses élections présidentielles et législatives extraordinaires le 20 août, plongé dans une crise sécuritaire profonde et complexe dont l'un des épisodes les plus tragiques a été le récent assassinat du candidat présidentiel Fernando Villavicencio. 
KEYSTONE

18.8.2023 - 07:47

«Il s'agit d'élections complètement atypiques, dans une situation terrible de violences devenue plus aiguës et particulièrement atroces avec l'assassinat du candidat Fernando Villavicencio», résume à l'AFP la politologue Anamaria Correa Crespo.

Une avocate socialiste amatrice de tatouages, un journaliste désigné au dernier moment pour remplacer son ami tombé sous les balles et un ex-sniper de la Légion étrangère française se disputeront les votes des électeurs, parmi huit candidats vivant dans la psychose d'un attentat et ne sortant plus qu'avec gilets pare-balles et sous escorte armée.

Bananes et crevettes

Le 9 août, le centriste Villavicencio, 59 ans, qui arrivait en deuxième position dans les sondages, a été abattu par un commando de tueurs à gages colombiens, alors qu'il quittait un rassemblement de campagne à Quito. Jamais auparavant le crime organisé n'avait osé s'attaquer à un homme politique d'un tel statut, encore moins dans la capitale, jusqu'à présent relativement épargnée par la violence endémique qui frappe la côte Pacifique, épicentre des exportations de cocaïne.

Longtemps un oasis de paix en Amérique latine, réputé pour ses bananes, ses crevettes roses et ses îles Galapagos, l'Equateur a été contaminé ces dernières années par le trafic de drogue en provenance de la Colombie et du Pérou voisins (principaux pays producteurs de cocaïne). Au point désormais de menacer la stabilité des institutions, et de ressembler à la Colombie sanglante des années 1990 du défunt baron de la drogue Pablo Escobar.

Les commanditaires du meurtre de Villavicencio restent à ce jour inconnus, mais l'ancien journaliste d'investigation et membre du Congrès avait récemment fait état de menaces à son encontre par un chef de gang actuellement emprisonné. Il avait également accusé des parlementaires du camp de l'ancien président Rafael Correa (2007-2017) de vouloir l'assassiner.

Les proches de Villavicencio, dont sa veuve, ont accusé – sans fournir de preuve – le camp Correa d'avoir au moins eu connaissance du projet d'assassinat. L'ex-journaliste était en effet un farouche opposant de M. Correa, qu'il avait envoyé sur le banc des accusés grâce à l'une de ses enquêtes. Réfugié en Belgique, l'ancien président a été condamné par contumace à huit ans de prison dans cette affaire pour corruption.

«Complot politique»

C'est précisément une très proche de Correa, l'avocate Luisa Gonzalez, qui arrivait jusqu'à la semaine dernière en tête des intentions de vote. De l'avis de tous les analystes, l'assassinat a cependant bouleversé la donne politique, mettant en porte-à-faux la candidate corréiste, au profit des candidats partisans de la manière forte contre l'insécurité et les gangs.

«On perçoit une baisse de la popularité de Mme Gonzalez», observe Correa Crespo, de l'université privée San Francisco de Quito (USFQ). Le corréisme pourrait être «puni» dans les urnes, pronostique le directeur de l'institut de sondage Market, Blasco Peñaherrera Solah, se préparant «à un vote émotionnel». L'ancien président Correa, depuis son exil belge, a reconnu que l'assassinat de Villavicencio a «déplacé l'échiquier électoral» en sa défaveur, dénonçant «un complot politique».

C'est un autre journaliste, Christian Zurita, qui se présentera finalement à la place de Villavicencio, dont il était l'un des très proches. Sa candidature a été avalisée au dernier moment jeudi par les autorités électorales, malgré les tentatives du camp Correa de la faire invalider. La photo de Villavicencio et non celle de Zurita figurera sur les bulletins de vote, les délais ne permettant pas l'impression de nouveaux.

«Amitié incroyable»

«Christian Zurita est le seul qui peut remplacer mon fils Fernando», a assuré la mère du candidat assassiné, parlant d'une «amitié incroyable» entre les deux hommes. «Ne pas le remplacer aurait été une trahison de sa lutte, une trahison de son nom», a commenté jeudi à la presse M. Zurita, qui a accusé une «mafia transnationale» d'être «derrière la mort» de son ami.

Au total, huit aspirants à la présidence briguent les votes des électeurs, dont l'indigène Yaku Perez, et surtout Jan Topic, ex-légionnaire français devenu prospère homme d'affaires. Souvent comparé au président salvadorien Nayib Bukele, son discours de fermeté contre les gangs, conjugué à la mort tragique de Villavicencio, a marqué des points ces derniers jours.

Cette présidentielle anticipée intervient après la dissolution du Congrès en juin dernier par le président conservateur sortant Guillermo Lasso, menacé de destitution. Le nouveau président sera élu pour un peu plus d'un an, jusqu'à mai 2025, période correspondant à la fin théorique du mandat de M. Lasso.

Les Equatoriens désignent également les 137 députés au sein de du Congrès monocaméral, une Assemblée nationale actuellement dominée par une opposition de gauche avançant en ordre dispersé. Depuis juillet, le maire d'un grand port, un candidat à la députation et un dirigeant politique ont été également assassinés.

Alors que le pays vit sous état d'urgence depuis une semaine, militaires et policiers seront déployés sur tout le territoire pour le vote de ce dimanche, qui débute à 7h00 locales (14h00 en Suisse) et sera clos à 17h00 (minuit). Les premiers résultats devraient être publiés dans la nuit par l'autorité électorale. Les électeurs doivent également se prononcer ce dimanche par référendum sur la poursuite de l'exploitation pétrolière dans la jungle amazonienne de Yasuni (nord-est), une terre indigène et réserve unique de biodiversité.

ATS