Amérique latineL'impôt sur la fortune, remède aux inégalités en Amérique latine ?
ATS
21.2.2021 - 09:32
Les fortes disparités dans la répartition des revenus en Amérique latine ont été aggravées par la pandémie de coronavirus. Elles font émerger des appels en faveur d'un impôt de solidarité sur la fortune.
Le Réseau latino-américain pour la justice économique et sociale (Latindadd) a révélé fin 2020 que 1% des plus riches du sous-continent possède 41% des richesses. Cependant, ce groupe ne contribue qu'à hauteur de 3,8 % dans les recettes publiques.
A l'échelle mondiale, les grandes fortunes sont jusqu'ici sorties indemnes, voire renforcées de la pandémie, a révélé en janvier l'ONG Oxfam, estimant que «les plus pauvres pourraient mettre une décennie à se relever». Les milliardaires ont même vu leur fortune augmenter de 3,9 milliards de dollars entre le 18 mars et le 31 décembre 2020, selon Oxfam.
Vaccin gratuit
Comme de nombreux partisans des mécanismes de redistribution directe, Latindadd fait pression pour une «taxe sur les grandes fortunes», qui, selon Oxfam, permettrait de combattre «le virus de l'inégalité». En Amérique latine, ce mécanisme permettrait de récolter plus de 26,5 milliards de dollars. Selon Latindadd, cela suffirait pour distribuer gratuitement le vaccin contre le Covid-19.
Mais si un impôt spécial sur les grandes fortunes a été introduit en Argentine et en Bolivie, son principe est remis en question dans des pays comme le Brésil et le Chili, particulièrement inégalitaires. Sans compter les nombreux pays latino-américains où la question n'est même pas à l'ordre du jour.
En Argentine, le gouvernement de centre-gauche d'Alberto Fernandez espère lever trois milliards de dollars cette année avec une taxe «extraordinaire». Cet impôt, doit toucher quelque 12'000 gros portefeuilles, est destiné à financer la lutte contre la pandémie de Covid-19, des aides aux PME ou des bourses d'études.
152 personnes touchées
Plus spécifique encore est la taxe introduite par le président bolivien Luis Arce, qui ne touchera que 152 personnes possédant des actifs supérieurs à quatre millions de dollars et ne rapportera que 14,3 millions de dollars, ce qui en fait une mesure plutôt symbolique.
Au Brésil, les propositions n'ont guère avancé au Congrès et ne sont pas incluses dans les projets de réforme fiscale. Pourtant «l'instauration d'impôts sur (...) les grandes fortunes» est inscrite dans la Constitution de 1988, introduite par une loi qui n'a jamais été approuvée par crainte de fuite des capitaux.
Au Chili, les parlementaires d'opposition de gauche ont proposé l'an dernier une taxe transitoire sur les «super-riches» à hauteur de 2,5% pour ceux qui disposent de plus de 22 millions de dollars de patrimoine. Mais l'idée, qui vise à générer quelque 6,5 milliards de dollars pour soutenir la lutte contre le Covid-19, n'a pas prospéré.
Pas assez resdistributif
Pour Alejandro Rasteletti, expert en politique fiscale de la Banque interaméricaine de développement (BID), les discussions autour d'un impôt sur les grandes fortunes sont les «bienvenues» dans une région inégalitaire où «la politique fiscale a un très faible impact redistributif».
«L'impôt sur les grandes fortunes rend le système plus progressif» (il vise à faire payer plus ceux qui ont le plus, ndlr) mais «il n'est pas aussi redistributif que souhaité car dans la pratique il est relativement difficile à collecter car on peut s'y soustraire de différentes manières», explique-t-il à l'AFP.
Pour preuve, selon ce spécialiste, en Europe, la collecte par ce mécanisme n'atteint que 0,2% du PIB, un volume «très faible».
«Taxe foncière»
«Au sein de la BID, nous faisons pression depuis longtemps pour une taxe foncière (...) qui est très difficile à éluder (et) qui est absolument progressive, parce que les plus grandes maisons appartiennent aux personnes les plus riches», a-t-il dit.
Craignant une explosion sociale, l'élite économique et politique mondiale a exprimé en janvier au Forum économique mondial (WEF) son inquiétude face à l'aggravation des inégalités.
«Au lieu de pleurer des larmes de crocodile, les maîtres du monde devraient se mettre au travail», avait réagi auprès de l'AFP l'économiste français Thomas Piketty. Ce spécialiste de l'étude des inégalités économiques préconise une taxe universelle «sur une partie des recettes fiscales (...) des acteurs économiques les plus prospères de la planète».