Coups d'EtatsL'instabilité politique en Afrique, aubaine pour les djihadistes
ATS
10.10.2022 - 08:02
A chaque putsch, c'est l'image et l'efficacité de l'Etat qui vacille un peu plus. Le coup d'Etat au Burkina Faso, énième avatar de l'instabilité politique en Afrique de l'Ouest, sert avant tout les intérêts des groupes de djihadistes.
10.10.2022, 08:02
ATS
Le Burkina Faso vient de connaître deux coups d'Etat en neuf mois, comme le Mali en 2020 puis 2021. La Guinée a changé de régime en 2021 et un putsch a échoué au Bénin l'année précédente. Quant au président tchadien tué en 2020 par des rebelles, il a été remplacé par son fils au mépris des règles constitutionnelles.
C'est un tourbillon effarant, alors que sévissent les groupes de djihadistes, dont la «province» sahélienne de l'Etat islamique (EI) et le groupe de soutien à l'islam et aux musulmans (GSIM), affilié à Al-Qaïda. D'où ce constat d'Yvan Guichaoua, expert de l'université de Kent à Bruxelles, juste après le coup au Burkina. «Les grands vainqueurs ne sont ni les Russes ni les Français, mais le JNIM et EI-Sahel. Quel désastre!».
Structure de l'armée déstabilisée
L'insécurité est souvent l'argument majeur des putschistes et l'arrivée d'un homme fort peut séduire une partie de l'opinion, mais l'offre sécuritaire est un leurre. Un putsch «déstabilise la structure de l'armée et divise les militaires entre partisans et adversaires du coup», explique Djallil Lounnas, chercheur à l'université marocaine d'Al Akhawayn. «Cela veut dire instabilité, division, purges».
Par ailleurs, les armées africaines ne sont ni des parangons d'efficacité ni des modèles de gestion. Alain Antil, spécialiste du Mali à l'institut français des relations internationales (IFRI), évoque ces gendarmes burkinabais tués par des djihadistes à la fin 2021, qui n'étaient plus ravitaillés. «Ils allaient chasser de la gazelle en brousse pour manger. On ne va pas à la lutte contre des adversaires aussi résolus avec ce genre de problème logistique», constate le chercheur.
La junte sortante n'a rien réglé et rien ne permet d'assurer que la nouvelle aura plus de résultats. «Le mythe du militaire éclairé qui règle les problèmes [...] ne se vérifie que très rarement», explique-t-il à l'AFP, notamment parce que les soldats sont «souvent moins bien outillés que les civils qu'ils remplacent pour comprendre les aspects non sécuritaires» de la crise.
Alternatives de sécurité
Au-delà, c'est l'idée même de l'Etat qui vacille à chaque fois qu'il change de main, un Etat déjà accusé d'enrichir les élites de la capitale et de délaisser les vastes zones désertiques dans lesquelles s'engouffrent les groupes de djihadistes avec des alternatives de justice et de sécurité.
Dans un communiqué cette semaine, le GSIM a raillé le putsch de Ouagadougou. «Faites savoir aux tyrans que les coups répétés ne leur profiteront pas», a-t-il affirmé, leur conseillant de «trouver la satisfaction dans l'application de la charia».
Les narratifs des islamistes surfent ainsi sur l'impotence des Etats, souligne Lémine Ould Salem, auteur et documentariste mauritanien. «Ils disent: 'Pas de démocratie, pas d'Etat, pas de constitution'», souligne-t-il, décrivant «un discours de délégitimation des institutions étatiques».
De facto, c'est souvent moins l'Etat qui agit face aux djhadistes que l'échelon inférieur. Au Niger, «c'est de la gestion locale [...] et cela ne peut pas tenir», assure Djallil Lounnas. «Il y a un cessez-le-feu dans un village X, mais pas dans le village Y».
La France «épouvantail»
Alain Antil observe pour sa part le piège dans lequel sombrent certains «villages qui, après avoir été menacés par le GSIM, signent un accord de non-agression, ce qui les rend, aux yeux du gouvernement et de son armée, complices des djihadistes».
Dans ce tourbillon qui mine ce qui reste de l'Etat-nation au profit d'allégeances tribales, ethniques, claniques, confessionnelles, la coopération internationale prend l'eau, ouvrant un peu plus les espaces frontaliers aux prédations des groupes armés.
En quittant le G5 Sahel – avec Mauritanie, Tchad, Burkina et Niger – le Mali se prive du droit de poursuite dès que les djihadistes qu'il pourchasse franchissent une frontière.
Dans le même temps, la France, ex-puissance coloniale, est accusée de tous les maux en Afrique de l'ouest au profit de nouveaux partenaires étrangers, Russie en tête. Si le bilan de Paris est discutable, l'accuser ne sert à rien, estime le Soufan Center, un centre de réflexion sur les questions de sécurité, basé à new-York. «La France fait office d'épouvantail ou d'excuse pour justifier la force grandissante des djihadistes». Mais la solution russe n'offre aucune garantie pour s'y substituer.
Michael Shurkin, historien américain spécialiste de l'armée française, pointe pour sa part les «théories du complot selon lesquelles les Français arment en fait les djihadistes». «Ces théories [...] évitent aux habitants d'avoir à comprendre leur propre responsabilité et à trouver leurs propres solutions», explique-t-il.