Les appels aux divers centres de coordination des secours autour de la Méditerranée, les conversations avec d'autres bateaux, les opérations de sauvetage, les échanges avec la terre: à bord de l'Ocean Viking, tout est enregistré, voire filmé, pour parer toute attaque.
Depuis plusieurs années, les critiques fusent contre les navires des ONG secourant les migrants au large de la Libye, accusés d'être – volontairement ou non – des complices des réseaux de passeurs.
En Italie, une enquête pour aide à l'immigration clandestine est systématiquement ouverte contre les commandants de navires débarquant des migrants. Si la plupart ont été classées sans suite, plusieurs bateaux d'ONG sont encore sous séquestre dans ce cadre, à commencer par le Juventa de l'ONG allemande Jugend Rettet (depuis août 2017) et le Sea-Watch 3 (depuis fin juin).
Dans ce contexte de méfiance exacerbée, l'équipage de l'Ocean Viking, le navire de SOS Méditerranée et Médecins sans frontières (MSF) doit pouvoir justifier de ses moindres décisions. Il navigue actuellement au ralenti, à mi-chemin entre l'île italienne de Lampedusa et Malte en attendant un port pour débarquer les 356 migrants qu'il a secourus pour certains il y a 10 jours.
Aussi les conversations
Pour collecter les preuves et documenter la mission, Louise G., 33 ans, a embarqué en tant que «Research Evidence Officer» (REO, officier de recherche de preuves): cette juriste de formation, directrice adjointe des opérations de SOS Méditerranée, passe des heures face aux écrans de contrôle sur la passerelle – le poste de commandement – du grand bateau rouge.
La procédure a été adoptée à l'été 2018 à bord de l'Aquarius, l'ancien bateau de SOS Méditerranée et MSF.
Toutes les données émises par les trois radars du bord, le GPS et l'AIS (Système d'identification automatique qui permet aux autorités d'identifier et de localiser le bateau en temps réel) sont enregistrées. Un système de secours, le CLS, double le GPS en cas d'absence de signal, comme cela a été le cas pour l'Ocean Viking – et d'autres bateaux dans les environs – quand il est arrivé au large des eaux libyennes.
«Si on doit se justifier, tout est enregistré», explique Louise. C'est aussi une façon de tenir le grand public informé: chaque journée à bord coûte 14'000 euros et l'ONG est essentiellement financée par des dons privés. Toutes les formes de communication – satellite, radio VHF, téléphone, emails – avec les autorités et les autres bateaux sont également conservées, ainsi que les conversations sur la passerelle.
«Suspecté, écouté, scruté»
«On est suspecté, écouté, scruté: on se doit donc d'être encore plus vertueux que les autres», explique-t-elle. «C'est d'autant plus nécessaire au cas où nous serions accusés d'avoir forcé les eaux territoriales de tel ou tel pays», témoigne Nicholas Romaniuk, responsable des opérations de secours.
Parti le 4 août de Marseille, l'Ocean Viking a patrouillé la zone de recherches dans les eaux internationales sans jamais s'approcher des eaux territoriales libyennes. Pas plus qu'il n'entend aujourd'hui, en attente d'un port européen où débarquer les personnes secourues, forcer les eaux italiennes ou maltaises.
«Pour nous, le droit existe, on l'applique», insiste Louise. «Nous agissons strictement dans le cadre des conventions maritimes et du droit international». Une dizaine de caméras à bord et des go-pro (mini-caméras) embarquées sur les zodiacs des secouristes enregistrent aussi chaque opération avec l'Ocean Viking.
«Nous sauvons des gens en mer»
Rompus à l'exercice périlleux du sauvetage en haute mer, d'autant plus tendu que la plupart des migrants ne savent pas nager, les marins sauveteurs de l'Ocean Viking vivent mal les accusations faisant d'eux des trafiquants ou des passeurs.
«Si notre présence incitait les gens à mettre leur vie en danger, j'arrêterais tout, tout de suite» affirme Nicholas Romaniuk, ancien scaphandrier qui gagnait «trois fois mieux sa vie» quand il plongeait pour les plateformes pétrolières au large de l'Afrique de l'Ouest.
«Nous ne sauvons pas les gens qui fuient la Libye, nous sauvons des gens en mer, dans une zone où personne n'intervient», insiste-t-il. «Dès que les gens arrêteront de mourir, on rentrera à la maison».
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