«Propagande» La désinformation déshumanise les victimes en Syrie et à Gaza

ATS

30.12.2023 - 08:51

Sur les réseaux sociaux, une vidéo montrant des écoliers syriens ensanglantés après une explosion a été faussement associée à Gaza. Cette tendance inquiétante à la désinformation vise à déshumaniser les victimes des guerres en Syrie et dans le territoire palestinien, selon des experts.

Ci-dessus, un jeune Syrien recevant les premiers soins dans un hôpital de campagne après une frappe aérienne par les forces loyales au régime d'Al-Assad sur un marché dans la zone tenue par les rebelles de Douma, à la périphérie de Damas, en Syrie, le 30 octobre 2015.
Ci-dessus, un jeune Syrien recevant les premiers soins dans un hôpital de campagne après une frappe aérienne par les forces loyales au régime d'Al-Assad sur un marché dans la zone tenue par les rebelles de Douma, à la périphérie de Damas, en Syrie, le 30 octobre 2015.
KEYSTONE

Depuis le début, le 7 octobre, des hostilités entre Israël et le mouvement islamiste palestinien Hamas dans la bande de Gaza, Internet est inondé d'images montrant les horreurs de la guerre. Mais il s'agit pour certaines de photographies et vidéos détournées de leur contexte dans le but d'attirer davantage l'attention.

Des journalistes de l'AFP spécialisés dans la vérification des faits ont révélé notamment que des images et des vidéos de la guerre en Syrie ont été présentées comme étant des photographies de la bande de Gaza.

Largement diffusée sur les réseaux sociaux, une vidéo filmée par un enseignant dans une école du village d'Afes, dans le nord-ouest de la Syrie, montre des enfants visiblement terrifiés après un bombardement des forces gouvernementales le 2 décembre.

«Pas une fiction»

Des secouristes des casques blancs, opérant dans les zones rebelles en Syrie, ont raconté à l'AFP que des éclats d'obus avaient volé dans les salles de classe et blessé plusieurs élèves. Une enseignante a succombé à ses blessures.

Ces images ont été tournées dans le contexte de la guerre civile en Syrie déclenchée en 2011, mais certains utilisateurs ont affirmé que la vidéo montrait des tireurs embusqués israéliens ouvrant le feu sur des enfants dans la bande de Gaza.

Pour Ismail al-Abdallah, un bénévole des casques blancs, la propagation de cette fausse information minimise «la gravité des véritables horreurs auxquelles sont confrontés les civils» dans le territoire palestinien et en Syrie. «Notre histoire n'est pas une fiction que les gens peuvent simplement modifier pour inventer une autre histoire», a-t-il fustigé lors d'un entretien accordé à l'AFP.

Une autre vidéo, censée montrer les horreurs subies par les civils à Gaza, où les enfants sont parmi les plus touchés par la guerre, a, en fait, été tournée en Syrie en 2014. Elle montre un garçon en larmes après la mort de ses frères et soeurs.

Une autre vidéo, postée sur TikTok en 2021, montre les conséquences d'un incendie dans un camp de réfugiés syriens près de la ville de Hanin, dans le nord du Liban. Cette vidéo ne documente pas les conséquences d'une offensive israélienne, contrairement à ce qui a été initialement suggéré.

«Diviser»

Une photographie de 2013, sur laquelle on peut voir des enfants syriens morts enveloppés dans des linceuls, a également été détournée et partagée par un membre du Congrès américain.

Ces images détournées font de l'ombre à celles prises par des journalistes sur le terrain au péril de leur vie et, selon des experts, elles brouillent également la compréhension des conflits. «Le but de la désinformation n'est pas seulement de faire croire à un mensonge, mais aussi de diviser», explique à l'AFP Lee McIntyre, chercheur à l'université de Boston.

Parmi ceux qui recyclent de vieilles images, on trouve des influenceurs de premier plan. C'est le cas de l'Américain Jackson Hinkle, qui a partagé en novembre une vidéo d'une femme tenant un jouet et descendant les escaliers d'un immeuble balayé par des éclats d'obus, avec la légende suivante: «Vous ne pouvez pas briser l'esprit palestinien».

Elle a en réalité été tournée en 2016 dans la ville syrienne d'Homs, ont révélé des journalistes de l'AFP grâce à la recherche d'images inversées.

«Propagande»

Sur le réseau social X (ex-Twitter), des utilisateurs exploitent un programme de partage de recettes publicitaires qui, selon des chercheurs, encourage les contenus extrêmes et mensongers destinés à stimuler la fréquentation.

Pour Kenan Masoud, le directeur de l'école du village syrien d'Afes, la désinformation est «triste et dégoûtante». «Les images d'enfants et de blessés ne sont pas à vendre».

Ces détournements d'images sont «dangereux, car ils donnent aux détracteurs un moyen facile de rejeter des allégations fondées», souligne Roger Lu Phillips, directeur juridique du centre syrien pour la justice et la responsabilité (SJAC). La désinformation est souvent réalisée «à des fins propagandistes» ou «par pure paresse», explique-t-il.

Elle «sème le doute dans le coeur des gens», estime pour sa part Ranim Ahmed, de l'association de défense des droits fondamentaux The Syria Campaign, ce qui peut pousser le public à se taire plutôt qu'à s'engager dans des actes de solidarité par exemple, poursuit-il.

La désinformation met aussi en péril les futures enquêtes sur les crimes de guerre, affirme de son côté Sophia Jones, chercheuse pour l'ONG Human Rights Watch (HRW). Elle suscite «un dangereux manque de confiance dans toutes les images et les événements qui se déroulent sur le terrain, alors qu'il existe des cas bien documentés et vérifiés de violations des droits humains et des lois de la guerre qui devraient faire l'objet d'une enquête».