Fini le «cas par cas»La France rapatrie 15 femmes et 32 enfants des camps jihadistes
beko
24.1.2023 - 22:30
La France, sous pression d'organisations internationales et des familles, a procédé mardi au rapatriement de 15 femmes et 32 enfants qui étaient détenus dans les camps de prisonniers jihadistes dans le nord-est de la Syrie, mettant définitivement fin à sa politique du «cas par cas». A ce jour, la Suisse compte seulement deux rapatriements actifs de mineurs.
beko
24.01.2023, 22:30
ATS
«Les mineurs ont été remis aux services chargés de l'aide à l'enfance et feront l'objet d'un suivi médico-social», a précisé le ministère français des Affaires étrangères qui a piloté cette opération. Et les adultes sont désormais aux mains des autorités judiciaires compétentes.
Il s'agit du troisième rapatriement d'ampleur après celui du 5 juillet 2022 quand la France avait rapatrié 16 mères et 35 mineurs et celui du 20 octobre qui avait permis le retour de 15 femmes et 40 enfants. Il «signe la fin du cas par cas», a réagi Marie Dosé, avocate qui militait pour leur retour.
Les femmes et enfants rapatriés ce mardi, proches de jihadistes de l'organisation de l'Etat islamique (EI), se trouvaient dans le camp de Roj sous administration kurde, à une quinzaine de kilomètres des frontières irakienne et turque.
Gardes à vue
Huit des 15 femmes rapatriées mardi, visées par un mandat de recherche, sont en garde à vue, a annoncé le parquet national antiterroriste. Les sept autres, visées par un mandat d'arrêt, ont été mises en examen dans la journée par des juges antiterroristes du tribunal judiciaire de Paris et placées en détention provisoire, selon une source judiciaire.
Aucune de ces femmes n'est connue à ce stade pour des actes criminels directs, a observé une source proche du dossier, qui a expliqué que la plupart étaient parties sur zone pour suivre leur mari ou en rejoindre un.
La France a été particulièrement frappée par des attentats jihadistes, notamment en 2015, fomentés par le groupe EI. Raison pour laquelle elle avait procédé, jusqu'à l'été dernier, à des rapatriements ciblés d'orphelins ou de mineurs dont les mères avaient accepté de renoncer à leurs droits parentaux. Mais sous le feu des critiques, elle avait dû infléchir sa politique.
Cette troisième opération intervient après une condamnation la semaine dernière par le Comité contre la torture de l'ONU, saisi en 2019 par des familles de ces femmes et enfants. Ces derniers avaient fait valoir que le refus de rapatrier ces personnes constituait une violation de la Convention contre la torture et les traitements inhumains ou dégradants.
Condamnations
La France avait déjà été condamnée en 2022 par le Comité des droits de l'enfant puis la Cour européenne des droits de l'Homme pour son manque d'action dans le retour de femmes et de mineurs.
Ces Françaises s'étaient rendues volontairement dans les territoires contrôlés par les groupes jihadistes en zone irako-syrienne. Elles avaient été capturées lors de la chute de l'EI en 2019. Et nombre de leurs enfants sont nés dans les camps. Sollicité par l'AFP, le Quai d'Orsay n'a pas précisé le nombre d'enfants et femmes susceptibles d'être rapatriés également.
Selon Me Dosé, «il reste des orphelins et quelques mères qui demandent à être rapatriés avec leurs enfants, notamment une femme en situation de handicap».
«Trop d'autres enfants ont encore été triés et ne sont pas rentrés» malgré des condamnations, a déploré Me Martin Pradel, avocat de familles d'enfants français retenus en Syrie. «Il neige en Syrie. Certains enfants dorment dans des tentes (...) Il est urgent de tous les rapatrier», a-t-il ajouté.
Quelque 300 mineurs français sont rentrés en France, dont 77 par rapatriement, avait indiqué début octobre le ministre de la Justice Éric Dupond-Moretti. Et, mi-décembre, un collectif de familles des ressortissantes françaises détenues avait fait état de 150 enfants «parqués dans les camps de prisonniers syriens».
Retours au compte-goutte
Malgré les exhortations répétées de l'administration kurde, nombre de pays occidentaux ont longtemps refusé de rapatrier leurs citoyens de ces camps, se contentant de retours au compte-goutte par crainte d'éventuels actes terroristes sur leur sol.
Mais les recours judiciaires se sont multipliés face à la violence endémique et aux privations nombreuses dans les camps.
Ainsi, le Canada a annoncé vendredi le retour de six femmes et 13 enfants canadiens détenus dans le nord-est syrien. En novembre, les Pays-Bas ont, eux, procédé à leur plus importante exfiltration en rapatriant 12 citoyennes et 28 enfants.
En Europe, la France apparaissait de plus en plus isolée alors que la Finlande, le Danemark ou la Suède avaient décidé le rapatriement de tous leurs ressortissants mineurs et leurs mères.
Deux rapatriements en Suisse
La Suisse pour sa part n’interdit pas le retour, mais vise à empêcher un retour incontrôlé des personnes concernées. Berne n’intervient pas activement pour rapatrier des voyageurs à motivation terroriste adultes et n'examine une telle intervention que dans le cas de mineurs, les autorités locales exigeant en outre l'accord de la mère.
A ce jour, seules deux fillettes mineures ont été rapatriées en décembre 2021 à Genève du camp Roj, situé au nord-est de la Syrie. Depuis lors, il n'y a pas eu d'autres opérations semblables, a précisé à Keystone-ATS un porte-parole du DFAE.
Les autorités kurdes ne détaillent pas le nombre d'Occidentaux détenus dans les camps. Mais selon les données des ONG, Al Hol, le plus grand camp, rassemble entre 55'000 et 57'000 personnes incluant des Syriens, des Irakiens ou des ressortissants de pays tiers. Selon un décompte de MSF, 64% de la population d'Al Hol sont des enfants.