«Héros de l'ombre» Guerre en Ukraine: la rédemption du renseignement américain

ATS

11.3.2022 - 08:04

Surpris par la chute de Kaboul en août dernier, accusés d'avoir imaginé en 2003 les armes de destruction massive de Saddam Hussein, les services de renseignements américains ont trouvé la rédemption avec la guerre en Ukraine. Ils l'avaient annoncée et prévue avec une exactitude impressionnante.

Le directeur du FBI Christopher Wray, le directeur général de la National Security Agency Paul Nakasone, le directeur du National Intelligence (DNI) Avril Haines, le directeur de la CIA William Burns et le directeur de la Defense Intelligence Agency le lieutenant-général Scott Berrier, devant l'audience du Comité spécial du renseignement du Sénat des États-Unis sur les « menaces mondiales », sur la colline du Capitole à Washington, DC, États-Unis, le 10 mars 2022.
Le directeur du FBI Christopher Wray, le directeur général de la National Security Agency Paul Nakasone, le directeur du National Intelligence (DNI) Avril Haines, le directeur de la CIA William Burns et le directeur de la Defense Intelligence Agency le lieutenant-général Scott Berrier, devant l'audience du Comité spécial du renseignement du Sénat des États-Unis sur les « menaces mondiales », sur la colline du Capitole à Washington, DC, États-Unis, le 10 mars 2022.
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Keystone-SDA

Selon plusieurs responsables américains consultés par l'AFP, l'armée américaine a compris dès le mois d'octobre, que les mouvements de troupes russes à la frontière ukrainienne, que Moscou présentait comme des exercices, n'étaient «pas normaux», le dispositif militaire nécessaire à des exercices n'étant pas le même que celui d'une invasion.

Le Pentagone informe alors la Maison-Blanche de ses inquiétudes et les services de renseignements américains se mettent immédiatement au travail pour tenter d'en savoir plus. Certains des conseillers du président américain sont dubitatifs, mais le président des Etats-Unis d'Amérique Joe Biden prend immédiatement l'affaire très au sérieux.

«Un travail incroyable»

Le 2 novembre, M. Biden envoie à Moscou le directeur de la CIA, Bill Burns, pour des entretiens avec le président russe Vladimir Poutine. Ancien ambassadeur des Etats-Unis à Moscou, russophone, M. Burns fait part au maître du Kremlin des inquiétudes «graves» de Washington au sujet des mouvements des troupes russes, rapporte alors CNN.

Une demi-douzaine de colonels de la direction du renseignement de l'état-major américain scrutent les informations reçues des analystes de la CIA et des services des écoutes de la NSA, l'agence du renseignement militaire, pour deviner le plan d'attaque des forces russes.

Depuis les sous-sols du Pentagone, «ces héros de l'ombre ont donné le la à la communauté du renseignement toute entière», s'est félicité un de ces responsables sous le couvert de l'anonymat. En outre, la NSA a fait «un travail incroyable», a-t-il ajouté.

Leur travail aboutit en janvier à l'élaboration d'une carte de la région qui prévoit avec une précision étonnante les axes d'attaque de l'armée russe, depuis le nord sur Kiev, depuis l'est sur Kharkiv et depuis le sud sur Marioupol.

Scénario décodé

Désireuse de prévenir le conflit et pour neutraliser des tentatives de désinformation russe qu'elle anticipe, le gouvernement américain prend rapidement la décision de révéler au grand public un volume inhabituel d'informations classées secret-défense.

Au début février, le porte-parole du Pentagone, John Kirby, affirme que Moscou prévoit de filmer «une vidéo de propagande très violente, qui montrerait des cadavres et des acteurs jouant le rôle de personnes en deuil», qui prétendraient avoir été attaqués par des Ukrainiens, afin de l'utiliser comme prétexte pour envahir l'Ukraine.

Peu après, des journalistes sont invités à rencontrer de hauts responsables du renseignement, qui parlent rarement à la presse. Ils apprennent que la Russie accentue les préparatifs d'une invasion à grande échelle de l'Ukraine. On leur montre une carte avec les mouvements de troupes russes prévus. On leur donne même une date: mi-février, après la fin des jeux Olympiques.

Le scénario publié ce jour-là par les médias du monde entier est accueilli avec scepticisme en Europe.

Date de l'invasion

La date supposée de l'invasion est repoussée de quelques jours, mais le gouvernement américain est tellement sûr de ses renseignements que le 23 février au soir, le chef de la diplomatie américaine Antony Blinken annonce qu'elle pourrait être lancée «avant la fin de la nuit». Le 24 au matin, les forces russes envahissent l'Ukraine.

Le scénario du renseignement se révèle exact à quelques exceptions près. Les analystes américains n'avaient ainsi pas prévu la résistance féroce des Ukrainiens et la détermination du président Volodymyr Zelensky, dont le courage a galvanisé la population. Ils craignaient que Kiev ne tombe en 48 heures et que M. Zelensky ne soit immédiatement déposé pour être remplacé par un régime pro-russe.

Deux semaines plus tard, Kiev n'est toujours pas aux mains de l'armée russe et le président ukrainien se fait applaudir debout par le Parlement britannique, grâce à un lien vidéo avec Kiev.

Cyberattaque

Le renseignement américain craignait aussi de voir l'armée ukrainienne paralysée par une cyberattaque russe dès le début du conflit. Or, Kiev a modernisé son armée, mais n'a pas eu le temps de moderniser ses avions, qui datent de l'époque soviétique et utilisent le même système de communication radiodiffusé que l'armée russe. La Russie ne peut donc pas paralyser l'armée ukrainienne, car elle paralyserait sa propre armée.

Les services de renseignements américains avaient prévenu que le conflit aurait un coût humain considérable, avec le risque de provoquer la mort de 25'000 à 50'000 civils, 5000 à 25'000 soldats ukrainiens et 3000 à 10'000 soldats russes. Ils évoquaient le chiffre de 1 à 5 millions de réfugiés, principalement vers la Pologne.

Après 14 jours de combat, le Pentagone évalue déjà le nombre de morts russes entre 2000 et 4000 et plus de 2 millions de réfugiés ukrainiens ont déjà fui le pays.