La police a multiplié les interpellations samedi à Hong Kong, pour empêcher toute commémoration en public de la sanglante répression de Tiananmen. Ce alors que des rassemblements en hommage aux victimes se sont tenus dans plusieurs pays démocratiques.
Certains habitants de Hong Kong ont arboré des petites bougies électriques à la mémoire de Tiananmen malgré les interdictions.
La police a interpellé plusieurs personnes à Hong Kong.
La police empêche toute commémoration en public de Tiananmen - Gallery
Certains habitants de Hong Kong ont arboré des petites bougies électriques à la mémoire de Tiananmen malgré les interdictions.
La police a interpellé plusieurs personnes à Hong Kong.
Des journalistes de l'AFP ont vu au moins une demi-douzaine de personnes être emmenées par la police, y compris l'activiste Yu Wai-pan, de la Ligue des sociaux-démocrates (LSD), un parti politique prodémocratie dans le collimateur des autorités.
Celles-ci avaient averti que toute participation à des «assemblées non-autorisées» serait passible de cinq ans de prison. En particulier aux alentours du parc Victoria, bouclé samedi, qui était le théâtre jusqu'en 2019 de gigantesques veillées aux chandelles à la mémoire de Tiananmen.
Dans la soirée, de nombreux passants des environs du parc ont allumé la lampe de leur téléphone portable, à défaut d'allumer des bougies. La police les a sommés par haut-parleur de les éteindre, en les prévenant qu'ils violaient la loi.
Loi draconienne
Le 4 juin 1989, le régime communiste chinois réprimait avec chars et troupes les manifestants pacifiques qui, depuis des semaines, occupaient l'emblématique place de Pékin pour réclamer un changement politique et la fin de la corruption systémique. L'écrasement du mouvement avait fait des centaines de morts, plus d'un millier selon certaines estimations.
Depuis, les autorités chinoises s'efforcent d'effacer Tiananmen de la mémoire collective. Les manuels d'histoire n'en font pas mention, les discussions en ligne sont systématiquement censurées.
A Pékin, les autorités ont installé des dispositifs de reconnaissance faciale dans les rues menant à la place. La police procédait samedi à des contrôles d'identité tatillons. Si en Chine évoquer les événements de 1989 a toujours été tabou, Hong Kong faisait exception jusqu'en 2020.
Pékin a alors imposé à la région semi-autonome une loi draconienne sur la sécurité nationale pour étouffer toute dissidence, après les gigantesques manifestations prodémocratie de 2019. Depuis, les autorités locales s'emploient aussi à effacer toute trace du souvenir de Tiananmen.
T-shirt noir et chrysanthème
Samedi soir, M. Yu et deux autres membres de la LSD sont arrivés dans le quartier commerçant très fréquenté de Causeway Bay et se sont tenus debout en silence, portant des masques figurant des croix sur la bouche. Ils ont été fouillés par la police, puis relâchés, et M. Yu a de nouveau été interpellé quelques minutes plus tard alors qu'il approchait du parc Victoria.
Un ancien dirigeant de la Hong Kong Alliance, l'association qui organisait les veillées, a lui été cerné par ses agents alors qu'il déambulait dans le quartier un bouquet de roses rouges et blanches à la main, et son sac a été fouillé.
«Le gouvernement a très peur d'un possible rassemblement», a confié à l'AFP Dorothy, une Hongkongaise de 32 ans. La fin des veillées est «une grande perte pour la société», regrette-t-elle. Une Hongkongaise a confié à l'AFP qu'elle avait allumé une bougie chez elle et placé sur un appui de fenêtre une réplique de la «Déesse de la démocratie», la statue-symbole du mouvement de Tiananmen.
Avertissements aux consulats
Les veillées avaient déjà été interdites en 2020 et 2021 au nom de la lutte anti-Covid, puis en septembre dernier la Hong Kong Alliance a été dissoute, son Musée du 4 juin démantelé, ses dirigeants arrêtés. Le manque de clarté sur ce qui est légal ou non a aussi poussé ces derniers mois six universités de Hong Kong à déboulonner des monuments commémoratifs de Tiananmen érigés sur leurs campus.
En soirée samedi, les fenêtres du consulat des Etats-Unis et du bureau de l'Union européenne (UE) étaient au contraire éclairées par des bougies. L'UE «est toujours solidaire des défenseurs des droits de l'homme à travers le monde», a écrit cette dernière sur Twitter (qui est bloquée en Chine), en publiant une photo de dizaines de bougies sur un rebord de fenêtre.
Plus tôt, le secrétaire d'Etat américain Antony Blinken avait rendu hommage sur Twitter aux «courageux manifestants» qui avaient «réclamé pacifiquement la démocratie» à Tiananmen: «malgré la suppression des monuments commémoratifs et les tentatives d'effacer l'histoire, nous honorons leur mémoire en promouvant le respect des droits humains partout où ils sont menacés».
En réaction, un porte-parole du bureau du ministère chinois des Affaires étrangères de la ville a déclaré que celui-ci «rejetait fermement» ces déclarations. «Leur show politique s'est immiscé dans les affaires intérieures de la Chine sous couvert des droits de l'homme et de liberté, et a sali les droits de l'homme et l'État de droit de Hong Kong, pour inciter à l'hostilité et à la confrontation et ternir l'image de la Chine», selon un communiqué.
«Mémoire du peuple»
Des veillées ont néanmoins été organisées samedi, par Amnesty International, dans 20 villes du monde entier. A Melbourne, «nous voulons que cet esprit perdure à jamais», a déclaré Frank Ruan, un ancien manifestant de la place Tiananmen qui s'est dit chanceux d'avoir survécu.
A Taipei, Connie Lui, une employée d'hôpital de 65 ans qui a quitté Hong Kong il y a un an et demi en raison de la situation politique, a expliqué à l'AFP que «c'est le seul endroit maintenant où nous pouvons venir nous souvenir. Je suis ici aussi au nom de tous mes amis de Hong Kong qui ne peuvent pas être présents».
«Le souvenir collectif du 4 juin à Hong Kong est systématiquement effacé», a dit pour sa part la présidente taïwanaise Tsai Ing-wen: «des mesures aussi grossières et déraisonnables ne pourront effacer la mémoire du peuple».