Guerre en Ukraine Cette ligne rouge que les Occidentaux pourraient finir par franchir

ATS

28.5.2024 - 17:02

C'est la dernière ligne rouge en date que les Occidentaux pourraient, comme les précédentes, finir par franchir. L'Ukraine exhorte ses alliés à l'autoriser à frapper le territoire russe avec leurs armes, suscitant en réponse une cacophonie favorable à Moscou.

Des militaires ukrainiens tirant un obus sur les positions russes à Donetsk, le 7 mai 2024.
Des militaires ukrainiens tirant un obus sur les positions russes à Donetsk, le 7 mai 2024.
KEYSTONE

28.5.2024 - 17:02

Le sujet divise profondément les soutiens de Kiev, jusqu'à parfois entraîner des déclarations contradictoires au sein d'un même pays.

«Nous constatons qu'il n'y a pas de consensus sur cette question dans le camp occidental», a relevé mardi le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, sur la chaîne de télévision Izvestia.

Il a fustigé les «têtes brûlées en Occident qui font des déclarations provocatrices absolument irresponsables», face à «ceux qui se demandent s'il est nécessaire d'aller plus loin dans l'escalade».

Poutine menace les «petits pays»

Vladimir Poutine a lui mis en garde contre un tel usage d'armes occidentales contre le territoire russe, évoquant des «conséquences graves» et appelant les États européens à réfléchir à l'enjeu.

«En Europe, en particulier dans les petits pays, ils doivent réfléchir à ce avec quoi ils jouent. Ils doivent se souvenir qu'ils sont bien souvent des États ayant un petit territoire et une population très dense», a dit M. Poutine lors d'un point presse en Ouzbékistan. «Ce facteur est une chose sérieuse qu'ils doivent avoir à l'esprit avant de parler de frapper en profondeur le territoire russe».

La zizanie

L'Otan pousse de son côté les capitales occidentales à lever des restrictions qui «lient les mains dans le dos des Ukrainiens», selon les termes de son secrétaire général, Jens Stoltenberg.

Mais les chancelleries restent divisées, les plus réticentes – Rome et Berlin notamment – brandissant le risque d'escalade, d'extension du conflit, avec en filigrane le risque de l'utilisation de l'arme nucléaire par Vladimir Poutine.

L'histoire témoigne pourtant de ce que jamais l'aide militaire d'une puissance à une autre n'a entraîné son entrée dans un conflit, selon l'historien militaire Michel Goya.

Déjà plusieurs précédents

En outre, des armes occidentales ont déjà été utilisées à plusieurs reprises contre le territoire russe, récemment contre la ville de Krasnodar (ouest), selon plusieurs sources occidentales.

Moscou «avait affirmé que la Crimée (annexée en 2014, ndlr) était intouchable. Les Ukrainiens l'ont frappée avec des armes américaines et il ne s'est rien passé», souligne à l'AFP l'ex-colonel français.

La frustration ukrainienne

L'enjeu, pour Kiev, est fondamental avec l'offensive russe sur le nord qui menace Kharkiv, deuxième ville d'Ukraine. L'armée ukrainienne dispose de moins de soldats et de munitions que son ennemi. Mais pourrait le faire reculer avec les armes modernes lui apportant précision et longue portée.

Kiev «se plaint que les limitations des alliés facilitent la capacité russe à acquérir un avantage stratégique, opérationnel et tactique», explique à l'AFP le général à la retraite britannique James Everard, ex-commandant suprême adjoint de l'OTAN en Europe.

Moscou opère de son territoire

Car l'offensive russe est orchestrée depuis l'autre côté de la frontière. Moscou déplace des troupes, dispose des batteries, fait décoller ses avions dans des conditions de sécurité enviables.

Kiev vise depuis longtemps l'arrière du front, fait valoir Ivan Klyszcz, du Centre international pour la défense et la sécurité en Estonie. Des frappes «essentielles pour user les forces ennemies, perturber l'approvisionnement et les chaines logistiques, faire de la contre-artillerie et perturber le commandement».

Mais la question «est de savoir si ces frappes devraient aussi se produire à l'intérieur de la Russie».

Temps précieux perdu à chaque fois

Depuis le début de la guerre, l'hésitation occidentale a déjà été observée pour les missiles longue portée, les chars lourds, les avions de chasse.

A chaque fois, Kiev réclame, les Occidentaux commencent par refuser, l'Ukraine pointe du doigt certaines chancelleries, qui finissent par céder. Entretemps, du temps précieux a été perdu.

Permis de frapper l'Etat agresseur

«Rétrospectivement, on se dit que s'ils avaient lâché dès le départ, cela aurait été plus efficace», note Michel Goya, soulignant que «le droit international autorise le pays agressé à frapper le pays agresseur à condition de respecter le droit humanitaire».

Le général Everard déplore, lui, que les dirigeants occidentaux soient «réticents au risque, financièrement contraints et tellement auto-dissuadés par la Russie».

La situation est d'autant plus complexe que ce n'est pas l'OTAN qui décide, mais chaque pays via des accords bilatéraux. «Cela produit un ensemble hétérogène de libertés et de contraintes difficiles à interpréter».

Prochaine étape: les hommes

Le prochain dossier, déjà sur la table, concerne l'envoi en Ukraine de soldats occidentaux. Le président français, Emmanuel Macron, a ouvert le débat fin février en refusant d'exclure l'option.

Il a d'abord été fraîchement accueilli avant de voir des alliés – République Tchèque, Pologne, Etats baltes notamment – le rejoindre. Et certains observateurs considèrent que la question n'est plus de savoir si, mais quand, des soldats européens seront déployés.

«Dissuasion russe affaiblie»

«La rupture du tabou par le président Macron a affaibli la dissuasion russe», estime Ivan Klyszcz, «de nombreux alliés évoquant désormais la possibilité d'une forme de présence au sol» pour une assistance technique ou des formations.

Et si l'option peut rebuter certains Européens, beaucoup d'observateurs plaident pour maintenir l'ambiguïté stratégique, qui consiste à cacher à son ennemi ce que l'on n'est pas prêt à faire.

«Exclure publiquement la présence de troupes occidentales en Ukraine n'a pas de sens (...). La simple possibilité est une des plus grandes craintes du Kremlin», estime Keir Giles, pour le think tank britannique Chatham House.

ATS