Mesures «contraires à la Constitution» Le «jeu dangereux» de Macron sur la loi immigration

ATS

24.1.2024 - 11:16

Un gouvernement qui fait voter un texte qu'il sait en partie contraire à la Constitution: le chemin chaotique du projet loi sur l'immigration en France touche à son terme et alimente des critiques sur le «jeu dangereux» prêté au président Emmanuel Macron.

Emmanuel Macron a récemment défendu le choix d'un «compromis» et envisagé que le texte soit «corrigé de ses censures éventuelles». (archives)
Emmanuel Macron a récemment défendu le choix d'un «compromis» et envisagé que le texte soit «corrigé de ses censures éventuelles». (archives)
KEYSTONE

Keystone-SDA

Dans une décision guettée avec fébrilité par le camp présidentiel, le Conseil constitutionnel dira jeudi si les dispositions de ce texte controversé, issu d'un compromis avec l'opposition de droite et accusé de s'inspirer de l'extrême droite, sont conformes ou non à la Loi fondamentale.

Jusque-là, rien de bien singulier: le contrôle de constitutionnalité, qui peut être notamment demandé par un groupe de parlementaires ou par le chef de l'État, fait partie intégrante de la vie législative en France.

Ce qui est en revanche plus inédit, selon les experts, c'est que le gouvernement a appelé à voter le texte en sachant que certaines de ses dispositions enfreignaient la Constitution.

Durcissement contesté

Le jour du vote, le 19 décembre, le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin reconnaît devant le Sénat que certaines «mesures sont manifestement et clairement contraires à la Constitution».

Le lendemain, la Première ministre de l'époque, Elisabeth Borne, confirme des «doutes» sur ce texte, qui restreint notamment l'accès aux prestations sociales pour les seuls étrangers non-européens au risque de rompre l'égalité devant la loi.

Des dizaines de mesures sont au total sur la sellette, dont le durcissement du regroupement familial qui pourrait enfreindre le droit de «mener une vie familiale normale».

Emmanuel Macron a récemment défendu le choix d'un «compromis» et envisagé que le texte soit «corrigé de ses censures éventuelles». «On va attendre d'abord (la décision du Conseil constitutionnel, ndlr), on en parlera après», a-t-il évacué lors d'une conférence de presse.

Cette stratégie de renvoyer la balle au Conseil constitutionnel a permis au gouvernement de sauver un texte sur un sujet explosif et de s'éviter un fiasco à l'Assemblée, où il ne peut s'appuyer que sur une majorité relative, à quelques mois des élections européennes.

Mais elle n'a pas été du goût de tous.

Concerné au premier chef, le Conseil constitutionnel a déclaré ne pas être «une chambre d'appel des choix du Parlement», par la voix de son président, l'ex-Premier ministre socialiste Laurent Fabius, qui rendra sa décision avec les huit autres membres de l'instance, tous nommés sur décision politique.

«Fragilités constitutionnelles»

De mémoire de constitutionnaliste, une telle situation est rarissime depuis le début de la Ve République en 1958 en France, qui a marqué l'introduction d'un contrôle de conformité des lois à la Constitution.

«Renvoyer au Conseil constitutionnel, la solution en soi n'est pas choquante», analyse la constitutionnaliste Anne Levade. «Ca l'est évidemment un peu plus quand il apparaît au détour de tel ou tel discours que certains au sein de l'exécutif sont convaincus de l'inconstitutionnalité de certaines dispositions.»

«Ce n'est pas la première fois qu'un gouvernement maintient des dispositions litigieuses dans un texte pour obtenir un vote mais c'est la première fois que cette stratégie est clamée et reconnue comme telle», complète le constitutionnaliste Jean-Philippe Derosier.

Le 20 novembre 2015, pendant le mandat du socialiste François Hollande, le Premier ministre Manuel Valls avait reconnu que son projet de loi sur l'état d'urgence comportait des «fragilités constitutionnelles» et avait exhorté les parlementaires à ne pas saisir le Conseil constitutionnel. Mais le pays venait d'être frappé, le 13 novembre, par la pire attaque jihadiste de son histoire, à Paris et Saint-Denis.

Position difficile

Quelle qu'en soit la nature, la décision de jeudi risque en tout cas de laisser des traces.

«Si la loi est censurée, ce n'est plus le gouvernement qui sera critiqué alors que c'est lui qui devrait porter cette responsabilité politique», note Jean-Philippe Derosier. «C'est la Constitution et le Conseil qui seront ciblés par ceux, à droite ou à l'extrême droite, qui diront que la Constitution ne permet pas d'assurer la sécurité des Français et appelleront à la réviser».

Le Conseil «est dans une situation politique complexe», abonde la constitutionnaliste Anne-Charlène Bezzina. «Il sait que s'il censure beaucoup de choses, il arrange paradoxalement le camp présidentiel. Sa décision est donc, même s'il juge uniquement de la constitutionnalité des lois, éminemment politique.»