Le Premier ministre éthiopien Abiy Ahmed, récemment récompensé du prix Nobel de la paix, a dénoncé samedi «une tentative de provoquer une crise ethnique et religieuse». Soixante-sept personnes ont perdu la vie cette semaine lors de manifestations.
«La crise que nous vivons pourrait encore s'aggraver si les Ethiopiens ne s'unissent pas», a affirmé M. Abiy, lors de sa première déclaration depuis le début des affrontements. «Nous travaillerons sans relâche pour assurer que la justice prévale et traduire en justice les coupables», a-t-il assuré.
«Il y a une tentative de transformer la crise actuelle en une crise ethnique et religieuse», a dénoncé le Premier ministre réformateur.
Les violences ont éclaté mercredi dans la capitale, Addis Abeba, avant de se répandre dans la région d'Oromia, lorsque les partisans d'un activiste controversé, Jawar Mohammed, sont descendus dans les rues, brûlant des pneus et érigeant des barricades, bloquant les routes dans plusieurs villes.
Militaires appelés en renfort
Les affrontements ont opposé des manifestants aux forces de l'ordre, mais aussi des communautés entre elles. Des biens appartenant à l'église orthodoxe tewahedo éthiopienne, associée par certains à la communauté amhara, ont aussi été pris pour cible.
Vendredi, le responsable de la police dans l'Etat d'Oromia, Kefyalew Tefera, a fait état d'un bilan de 67 morts, dont cinq policiers. Il a souligné que la plupart des victimes avaient perdu la vie lors «d'affrontements opposant des civils entre eux», et non à l'occasion de l'intervention des forces de l'ordre.
Le ministère de la Défense a annoncé vendredi le déploiement de militaires dans sept zones où la situation restait particulièrement tendue.
Réconciliation spectaculaire
Jawar Mohammed, le fondateur du média d'opposition Oromia Media Network (OMN), est un ancien allié du Premier ministre réformateur Abiy. Tous deux appartiennent à la communauté oromo, le groupe ethnique le plus nombreux en Ethiopie.
Mais les relations entre les deux hommes se sont récemment détériorées, Jawar Mohammed ayant publiquement critiqué plusieurs réformes d'Abiy Ahmed, qui vient d'être récompensé par le prix Nobel de la paix.
Il a été récompensé en tant qu'artisan d'une réconciliation spectaculaire avec l'ex-frère ennemi érythréen et père de réformes susceptibles de transformer en profondeur l'Ethiopie, longtemps livrée à l'autoritarisme. Mais la légalisation de groupes dissidents et l'amélioration de la liberté de la presse ont également permis une expression plus libre des tensions intercommunautaires et des nationalismes ethniques.
Incitation à la haine
M. Abiy, qui se trouvait à Sotchi (Russie) pour participer au sommet Russie-Afrique lorsque les premières violences ont éclaté, était critiqué pour ne pas avoir encore réagi aux affrontements. La rupture entre Abiy Ahmed et Jawar Mohammed – qui a accusé le Premier ministre de vouloir «instaurer une dictature» -, illustre les divisions au sein de l'ethnie oromo, qui pourraient affaiblir le soutien à M. Abiy à l'approche des élections législatives, prévues pour mai prochain.
Jawar Mohammed n'a d'ailleurs pas exclu une éventuelle candidature, contre le Premier ministre. «C'est une possibilité», a-t-il affirmé à l'AFP. «Je veux avoir un rôle actif dans ces élections. Je ne sais pas encore à quel titre, mais je veux que l'influence que j'exerce dans le pays se concrétise positivement».
Jawar Mohammed, qui a 1,7 million d'abonnés sur Facebook, est accusé par ses détracteurs d'inciter à la haine ethnique dans le deuxième pays le plus peuplé d'Afrique, avec 110 millions d'habitants. Il a notamment accusé à de nombreuses reprises les Tigréens de réprimer toute opposition et de marginaliser les Oromo, son ethnie, la plus importante d'Ethiopie.
Pouvoir sans commune mesure
Les Tigréens, qui ne constituent plus que 6% de la population, ont longtemps disposé d'un pouvoir sans commune mesure avec leur importance numérique.
Le Front de libération des peuples du Tigré (TPLF) a été à l'origine de la chute en 1991 du régime militaro-marxiste et a dominé jusqu'en 2018 la coalition depuis lors au pouvoir, le Front démocratique révolutionnaire du peuple éthiopien (EPRDF).
Mais les manifestations antigouvernementales organisées par les deux principales communautés, les Oromo et les Amhara, ont eu raison de sa toute-puissance. Le TPLF est toujours membre de l'EPRDF, mais il a été écarté de nombreux postes-clés.
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