Le président nigérian Muhammadu Buhari s'est montré intransigeant jeudi face au soulèvement populaire qui frappe son pays, particulièrement le sud et sa gigantesque capitale économique Lagos. Il est un ancien militaire putschiste.
Le chef de l'Etat a prévenu les manifestants qu'il «n'autoriserait personne ni aucun groupe à mettre en péril la paix et la sécurité nationale», dans un discours très attendu par les quelque 200 millions de Nigérians.
«Résistez à la tentation d'être utilisés par des éléments subversifs pour causer le chaos et tuer notre jeune démocratie», a-t-il appelé. Mardi, la répression sanglante de manifestations pacifiques à Lagos, ville de 20 millions d'habitants et épicentre de la contestation, a indigné le pays et la scène internationale.
L'armée et la police avaient tiré à balles réelles sur des manifestants pacifiques, faisant au moins 12 morts et des centaines de blessés à Lagos, selon Amnesty International et 56 personnes au total sont décédées depuis le début du mouvement. Washington, mais aussi l'Union Africaine, l'Union Européenne et l'ONU ont condamné ces violences et ont demandé à ce que les responsables soient traduits en justice.
Le président les a remerciés, les invitant cependant «à attendre d'avoir tous les éléments entre les mains avant de juger». Il n'a lui-même fait aucun commentaire sur cette tuerie, mais a regretté avoir «montré des signes de faiblesse en acceptant les (...) demandes faites par les manifestants» pour réformer la police.
Chaos
Le mouvement de protestation qui a commencé il y a deux semaines contre les violences policières s'est mué peu à peu en un mouvement de soulèvement contre le pouvoir en place accusé de mauvaise gouvernance.
Après ce «mardi sanglant», comme l'ont appelé aussitôt les Nigérians indignés, Lagos a plongé dans le chaos, des supermarchés ont été pillés, des coups de feu ont été tirés dans cette ville de 20 millions d'habitants où deux prisons ont été attaquées avant que les force de l'ordre n'en reprennent le contrôle.
A Lekki, le quartier de Lagos où l'armée a tiré mardi soir sur un millier de manifestants, les soldats avaient repris le contrôle des rues et maintenaient l'ordre en fin d'après-midi. La situation était calme autour d'un grand centre commercial totalement détruit.
«Nous avons juste faim»
«Maintenant, ils savent de quoi nous sommes capables», dit l'un des jeunes toujours présent sur les lieux et toujours en colère. «On ne croira plus à leur connerie désormais. Nous avons juste faim, nous sommes fatigués», lance-t-il, la voix éraillée.
Un entrepôt où étaient stockés des milliers de sacs de vivres destinés à être distribués aux ménages pauvres affectés par la pandémie du coronavirus a aussi été pillé, selon le gouvernement de l'Etat de Lagos. Sur des vidéos diffusées sur les réseaux sociaux on pouvait voir des centaines d'hommes et de femmes transportant des sacs blancs estampés du sigle «Covid».
Ailleurs dans le pays, le gouverneur de l'Etat du Delta, riche en pétrole, a lui aussi ordonné un couvre-feu après plusieurs incidents, notamment l'attaque et l'incendie d'un poste de police ainsi que d'une prison.
Le Nigeria, première puissance économique du continent africain grâce à son pétrole, est aussi le pays qui compte le plus grand nombre de personnes vivant sous le seuil de l'extrême pauvreté au monde.
Ancien putschiste
Le président Buhari, ancien général putschiste dans les années 1980 démocratiquement élu en 2015 et 2019, musulman originaire du Nord connu pour son austérité et sa fermeté, avait tenu dans l'après-midi un conseil de défense avec «toutes les agences de sécurité du pays». Son conseiller spécial pour la sécurité avait assuré de Nigérians qu'il allait proposer «des solutions» pour mettre fin à la crise.
Mises en cause dans la tuerie de mardi soir par des témoins et des ONG, la police et l'armée nient toute responsabilité. Mais des vidéos de la fusillade montrant des militaires tirer à balles réelles au-dessus d'une foule qui agitait des drapeaux et chantait l'hymne national au péage de Lekki, avaient été largement relayées sur les réseaux sociaux, suscitant l'indignation.
La Cour pénale internationale (CPI) a affirmé «suivre de près les incidents en marge des manifestations au Nigeria», dans un communiqué jeudi. «Nous avons reçu des informations concernant des crimes présumés et nous regardons de près la situation, dans le cas où la violence s'intensifierait», a déclaré la procureure générale Fatou Bensouda.
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