L'enfer de la guerreReportage à Gaza: des familles entières «disparues» et des mères dévastées
AFP
23.11.2023
Dans les décombres de la guerre à Gaza, des familles entières ont été décimées, laissant derrière elles des mères dévastées et des histoires de survie poignantes. À travers les yeux de Sahar Awad, ce reportage met en lumière la tragédie humaine, où la vie quotidienne est marquée par la perte incommensurable de proches. Au milieu de la destruction, ces histoires révèlent la résilience et la douleur profonde d'un peuple pris au piège d'un conflit dévastateur.
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23.11.2023, 16:25
23.11.2023, 16:28
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Sur un lit, son neveu Abboud, 12 ans, sur l'autre, le neveu de son mari, Mossaab, 14 ans. Sahar Awad veille sur les rares membres encore en vie de sa famille qui compte, après 47 jours de guerre, pas moins de 80 morts.
Tous se sont retrouvés dans une école, devenue d'abord camp de déplacés puis dispensaire, à Rafah, point de passage avec l'Egypte, à l'extrême sud de la bande de Gaza.
Il n'y a que 40 kilomètres de distance avec leur domicile situé dans la ville de Gaza, au nord du territoire palestinien. Mais le trajet, homérique, a pris une semaine.
Des déclarations entre deux sanglots
Vendredi dernier, un bombardement a frappé leur maison du quartier Cheikh Radwan. «Les survivants ont accouru pour sortir les morts et les blessés des décombres et Israël a frappé une deuxième fois», raconte-t-elle à l'AFP.
«On n'a pas pu enterrer ceux qui étaient déjà sous les décombres, seulement ceux qui ont été projetés jusque chez les voisins».
Mossaab a le visage couvert de blessures et la jambe amputée. Abboud a un tuyau de plastique qui lui sort du ventre. Il «ne sait pas que sa mère, sa grand-mère et plusieurs de ses frères sont morts», dit-elle entre deux sanglots.
Il ne reste à Abboud que son père, avec qui il était soigné à l'hôpital au moment de la frappe. «C'est uniquement pour cela qu'ils n'ont pas été touchés», raconte Sahar.
«Il ne nous raconte pas tout car il n'arrive pas à en parler»
«Mon grand frère et toute sa famille sont morts. Ma soeur a fui le nord et est morte avec son mari et ses enfants plus au sud», poursuit-elle.
La famille élargie de Mossaab, elle, a «entièrement disparu». Si une partie de celle de Sahar a survécu, c'est parce que ses membres étaient déjà partis.
Sur la route, son fils Mohammed, qui poussait le fauteuil roulant de sa grand-mère, a été arrêté par l'armée israélienne. Ce qui s'est passé en captivité? «Il ne nous raconte pas tout car il n'arrive pas à en parler».
Abboud et Mossaab, eux, sont arrivés dans le sud après tout le monde: ils ont été amenés par les convois qui sortaient les blessés de l'hôpital indonésien, le dernier établissement en date du nord de Gaza visé par les chars israéliens.
Fidaa Zayed, elle, a eu son premier fils, Oudaï, à 13 ans. Aujourd'hui, il en a 20, dit-elle, et ils ont «grandi ensemble», avec Qoussaï, son cadet de 19 ans, et Chahad, sa benjamine de 17 ans.
Tous préparaient le départ d'Oudaï, qui avait obtenu un rare laissez-passer pour la Cisjordanie, l'autre territoire palestinien occupé, afin d'intégrer l'académie militaire de Jéricho (sud).
Son permis permettait un «passage, le 12 octobre, par le terminal d'Erez», entre Israël et la bande de Gaza. Mais le 7 octobre, les commandos du Hamas ont fait exploser le poste-frontière et tué 1'200 personnes en Israël, en majorité des civils, selon les autorités israéliennes, lors d'une attaque sans précédent.
- «Riz au poulet» -
Depuis, la bande de Gaza est bombardée jour et nuit par l'armée israélienne, qui a promis d'"anéantir" le Hamas. Plus de 14'100 personnes, aux deux tiers des femmes et des enfants, sont mortes, selon le gouvernement du mouvement islamiste palestinien qui a pris le pouvoir dans le territoire en 2007.
Il y a quelques jours, Oudaï et sa mère discutaient devant leur maison de Jabaliya, le plus grand camp de réfugiés de la bande de Gaza.
«Il me disait: "j'ai tellement hâte que tout se calme, tu nous feras ton riz au poulet", raconte-t-elle. Et «un bombardement a commencé».
«Des dizaines de personnes sont mortes, j'ai enjambé au moins 50 corps, des blessés et des morts, avant de trouver Oudaï», raconte-t-elle. «Je ne l'ai reconnu que grâce à la ceinture qu'il portait».
«Nous sommes morts...»
«On était à côté et c'est lui que Dieu a choisi pour devenir martyr», répète-t-elle, hébétée. «Avec ma fille et mon mari, nous sommes allés à l'hôpital indonésien. Des médecins l'ont mis dans un sac mortuaire et ont écrit son nom dessus. Moi, j'ai rajouté +Que Dieu t'accepte auprès de lui, mon fils+».
Aujourd'hui seulement, Fidaa Zayed réalise qu'elle a été blessée au dos mais «ne sent pas la douleur» à cet endroit. «Celle au coeur l'emporte sur tout».
Arrivée à l'hôpital de Rafah, les médecins ont découvert une immense plaie infectée qu'ils ont dû recoudre avec 17 points de suture. Elle a dû changer ses habits, collés par le sang séché de ses proches.
«Nous sommes morts. Je préfèrerais encore partir maintenant avec mon mari et mes enfants».