Les Irakiens sont partagés vendredi sur la menace du président Barham Saleh de démissionner face au camp pro-Iran. Certains y voient une «violation de la Constitution», d'autres un acte de «civisme» en réponse aux «partis corrompus».
M. Saleh résiste depuis des jours aux pro-Iran qui veulent placer un de leurs hommes au poste de Premier ministre, après la démission il y a un mois d'Adel Abdel Mahdi sur fond de contestation inédite contre la classe politique.
Et jeudi, il a écrit au Parlement qu'il préférait démissionner plutôt que de proposer aux députés des noms de responsables également rejetés par la rue.
Vendredi, certains espéraient que le sermon de la figure tutélaire de la politique irakienne, le grand ayatollah Ali Sistani, contribuerait à sortir de l'impasse. Mais ce dernier a refusé d'évoquer la situation politique, voulant visiblement se démarquer encore plus d'une classe politique jugée corrompue et dénoncée par une révolte qui ne faiblit pas.
Près de 460 morts
Alors qu'il s'apprête à entrer dans son quatrième mois, le mouvement de contestation a déjà été marqué par près de 460 morts et 25'000 blessés.
Sur la place Tahrir de Bagdad, son épicentre, une nouvelle banderole est venue rejoindre les portraits des Premiers ministrables barrés de croix rouges. Il y est écrit sous le portrait de M. Saleh: «Merci Barham d'avoir pris le parti des revendications du peuple en refusant les candidats des partis corrompus». Mais tous les protestataires ne partagent pas cet avis.
Pour Ali Mohammed, dans la province de Babylone, «cette démission va mener au chaos». «Il faut que le président reste pour résister aux partis», affirme-t-il à l'AFP.
Sur le campement des manifestants de Diwaniyah, plus au sud, Mohammed Mehdi espère, lui, que «cette démission va devenir effective et entraîner la dissolution du Parlement et donc des élections anticipées pour enfin en finir avec tous les corrompus».
Politiciens divisés
Les politiciens sont également divisés. Le bloc parlementaire des paramilitaires pro-Iran, qui revendique le titre de «plus grande coalition» et donc le droit de désigner le Premier ministre, appelle les députés à «prendre des mesures judiciaires contre le président pour violation de la Constitution».
La liste d'un ancien Premier ministre, Haider al-Abadi, désormais dans l'opposition, exhorte, elle, M. Saleh à «revenir sur sa démission» et à travailler à «un changement radical».
Arrivée troisième aux législatives de 2018, cette liste est cependant amputée de la moitié de ses députés qui ont rejoint le camp pro-Iran.
En attendant, la pression des pro-Iran est «énorme», déplore de son côté Wataniya – liste emmenée par un autre ancien Premier ministre, Iyad Allaoui, et dominée par les sunnites.
Wataniya salue une «position civique» du président mais l'incite à rester pour former «un gouvernement de transition» qui travaillera «sous supervision onusienne» à sortir l'Irak «de l'impasse».
Deuxième producteur de pétrole de l'Opep, le pays est toujours pris en étau entre l'intransigeance des pro-Iran et celle des manifestants.
Le Sud paralysé
Ces derniers paralysent toujours administrations et écoles dans la quasi-totalité des villes du Sud, promettant de continuer tant qu'ils n'auront pas obtenu ce qu'ils réclament depuis le 1er octobre: la refonte du système de répartition des postes en fonction des ethnies et confessions et le renouvellement d'une classe politique inchangée depuis 16 ans.
Les manifestants exigent de nouvelles élections pour faire émerger des indépendants et des technocrates n'ayant pas été aux affaires au sein du système politique, installé en 2003 par les Américains et désormais noyauté par les Iraniens.
Alors que l'instabilité politique et sociale ne fait que grossir, une autre menace inquiète le partenaire américain. Vendredi soir, de nouveau, des roquettes se sont abattues sur une base au nord de Bagdad qui abrite des soldats américains, selon l'armée irakienne.
Si les auteurs des tirs n'ont pas été nommés, les Américains disent avoir déjà été la cible de dix attaques similaires en deux mois et les attribuent aux factions armées et financées par Téhéran, leur ennemi juré.
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